Empa

«Chaque atome compte»

Des chercheuses et chercheurs de l’Empa ont développé de nouveaux matériaux en carbone qui, en utilisant les effets quantiques, présentent des propriétés électroniques et magnétiques jusqu’ici inégalées. La Fondation Werner Siemens soutient le projet CarboQuant par une contribution de 15 millions de francs. Les graphènes, la nanotechnologie et la science quantique sont désormais largement appliqués à l’Empa.
Gabriela Borin Barin (à gauche sur la photo), scientifique, membre de l’équipe de Roman Fasel, directeur du laboratoire nanotech@surfaces de l’Empa. (© Conseil des EPF / Kellenberger Photographie)

C’est l’une de ces fabuleuses histoires de la recherche faisant le lien entre la science des matériaux du passé et la science quantique de l’avenir qui s’écrit ici. Elle a commencé en 2003 avec l’arrivée à l’Empa du chercheur Pierangelo Gröning, aujourd’hui directeur du département Matériaux et surfaces modernes, pour développer le secteur des nanotechnologies. Avec lui est arrivé Roman Fasel, aujourd’hui directeur du laboratoire nanotech@surfaces: les deux physiciens se connaissent depuis l’Université de Fribourg, où ils ont mené des recherches sur les tubes de carbone, le matériau prototype de la nanotechnologie.

En 2009, ils ont constaté que les nanotubes de carbone ne convenaient que partiellement aux applications électroniques prévues, dans la mesure où le processus de synthèse ne pouvait pas être maîtrisé de façon ciblée. R. Fasel, qui avait consacré sa thèse aux structures moléculaires en surface, a eu l’idée de tenter une fabrication contrôlée de nanorubans, plutôt que de nanotubes, au moyen de briques moléculaires, tel un système de construction Lego.

«S’il manque un atome ou s'il se trouve au mauvais endroit, c’est l’ensemble qui ne fonctionne plus.»      Pierangelo Gröning, directeur du département Matériaux et surfaces modernes à l'Empa

Puis le graphène, une modification du carbone avec une structure bidimensionnelle et en nid d’abeille, est entré en jeu. Ce matériau présente une grande stabilité, mais aussi un inconvénient. «Il ne s’agit pas d’un semi-conducteur, mais d’un semi-métal, inutilisable pour de nombreuses applications électroniques, à moins que l’on ne parvienne à restreindre le mouvement des électrons de manière à transformer le semi-métal en semi-conducteur», explique R. Fasel. «C’est ce qui est arrivé lorsque nous avons synthétisé des nanorubans de graphène et introduit ce que l’on appelle une bande interdite dans le graphène.» Les rubans larges de quelques atomes ont été examinés au microscope à effet tunnel. Il s’est avéré qu’en lien avec la dimensionnalité réduite du matériau, des effets quantiques se produisaient et que les nanorubans de graphène ne présentaient plus des états d’énergie continus, mais bien quantifiés.

«La largeur du ruban», continue R. Fasel, «permet même de régler la bande interdite, c’est-à-dire la propriété la plus importante du semi-conducteur.» A partir des débuts consacrés aux nanotubes, les scientifiques ont désormais trouvé un moyen d’obtenir un contrôle total sur la structure et les propriétés physiques des nanorubans. Ils sont en mesure d’assembler des molécules spécialement conçues au moyen de l’auto-organisation moléculaire pour former n’importe quel ruban souhaité et d’en visualiser jusqu’à la structure atomique. «Chaque atome compte», indique P. Gröning. «S’il en manque un ou si l’un se trouve au mauvais endroit, c’est l’ensemble qui ne fonctionne plus.» En 2010, ils ont été pour la première fois en mesure de produire des nanorubans de graphène avec une précision atomique.

Technologies quantiques robustes et économes en énergie

Au cours des deux dernières années, ils ont publié dans les revues spécialisées Nature Nanotechnology, Nature Chemistry et Nature des articles portant sur le magnétisme dans les nanomatériaux de carbone taillés sur mesure et en particulier sur un effet physique que les scientifiques appellent le fractionnement de spin. Celui-ci se forme si de nombreux spins entiers sont placés dans une superposition quantique cohérente commune, comme les équipes de recherche de l’Empa y sont parvenues dans des chaînes moléculaires synthétisées avec précision. De là est né le projet CarboQuant, désormais soutenu par la Fondation Werner Siemens à hauteur de 15 millions de francs pour les dix prochaines années.

Ce qui a convaincu la fondation est le fait que «la géométrie du graphène permet de régler ses propriétés électriques et magnétiques. La forme détermine les propriétés, et non la chimie: une approche totalement nouvelle.» Le projet CarboQuant doit permettre de jeter les bases de nouvelles technologies quantiques robustes et économes en énergie, pouvant fonctionner à température ambiante: les matériaux actuels nécessitent des températures proches du zéro absolu.

De toutes nouvelles possibilités

Entre-temps, plusieurs sections de l’Empa se consacrent aux graphènes, à la nanotechnologie et à la science quantique. Mickael Perrin, professeur adjoint à l’ETH Zurich, mène, avec le soutien d’un ERC Starting Grant, des recherches sur les convertisseurs de courant quantiques: de minuscules centrales composées de rubans de graphène qui transforment la chaleur résiduelle en électricité par conversion thermoélectrique et en utilisant les effets quantiques.

Un autre groupe de recherche de l’Empa dirigé par Maksym Kovalenko, professeur à l’ETH Zurich, étudie la synthèse et l’application de nanocristaux d’à peine 3 à 10 nanomètres. Le groupe maîtrise la synthèse de ces cristaux au point de pouvoir les obtenir de façon quasi monodisperse. De toutes nouvelles possibilités s’ouvrent ainsi dans le développement de matériaux: des nanocristaux dans des super-réseaux aux propriétés nouvelles, qui pourraient intervenir comme source de lumière ultra-rapide et économe en énergie.