Unir les forces pour la transition énergétique

L’Institut Paul Scherrer PSI et la start-up AlphaSYNT s’engagent sur une voie commune. Avec la signature d’un accord de coopération et de licence, les deux acteurs veulent commercialiser une nouvelle approche de «Power-to-Gas», plus précisément de «Power-to-Methane». Le processus de méthanation mis au point par le PSI devrait en effet permettre à l’avenir de stocker l’énergie sous forme de méthane.
A. Aeschimann et L. Schmidlin d'AlphaSYNT et T. Schildhauer du PSI (de gauche à droite) devant l'installation pilote GanyMeth au PSI. De telles installations devraient être développées à l'avenir par AlphaSYNT pour les stations d'épuration de biogaz ou d'eaux usées, afin de stocker de l'énergie sous forme de méthane. (Photo: PSI/Markus Fischer)

Depuis près de dix ans, le Laboratoire de bioénergie et de catalyse au PSI mène des recherches sur des processus permettant de convertir de manière propre et efficace les biogaz issus de déchets agricoles et forestiers en combustibles ou en carburants gazeux ou liquides. Le biométhane, par exemple, doit présenter un certain degré de pureté pour pouvoir être efficacement exploité dans le réseau de gaz: au moins 96% de teneur en méthane, telle est la règle. Le biogaz d’origine, qui est obtenu à partir de fermentation de biomasse (telle que le lisier ou les végétaux), est composé d’environ 40% de dioxyde de carbone (CO2). Il doit donc être d’abord traité. Dans le cadre des processus standard, les substances indésirables du méthane sont séparées et rejetées dans l’air.

La méthode mise au point au PSI, appelée méthanation directe, offre une solution nettement plus élégante. «Le CO2 n’a plus besoin d’être séparé, explique Tilman Schildhauer, directeur scientifique de la recherche sur la méthanation au PSI. Il est mélangé avec le biogaz à de l’hydrogène dans ce qu’on appelle un réacteur à lit fluidisé. La réaction chimique qui s’en suit permet d’obtenir du méthane supplémentaire.» L’énergie nécessaire au processus peut être du courant non utilisable par ailleurs, provenant par exemple de sources d’énergie renouvelables comme les installations photovoltaïques, que l’on doit parfois déconnecter du réseau en été lorsqu’elles présentent trop de puissance. A l’avenir, ce courant ne sera plus perdu mais, grâce au processus de méthanation, stocké de manière saisonnière sous forme de méthane. Comme dans une batterie, mais à plus long terme. Au besoin, ce stock d’énergie peut être à nouveau reconverti en courant, en haute température pour l’industrie ou en carburant pour le secteur des transports.

La science et l’industrie en symbiose

La guerre en Ukraine, et les sanctions contre la Russie dont elle s’accompagne, nous ont une fois encore confrontés à la dépendance de l’Europe aux vecteurs énergétiques fossiles. Pour échapper à cette dépendance et atteindre le zéro net d’ici 2050 – c’est-à-dire ne plus émettre plus de gaz à effet de serre que les réservoir techniques et chimiques ne peuvent en absorber – il faut mener d’intenses recherches sur de nouvelles solutions. La méthode de méthanation développée au PSI fournit une contribution importante à ce niveau. Mais si l’on veut faire avancer la commercialisation de ce type de technologies, il faut non seulement la technologie, mais aussi un savoir-faire industriel et économique.

«Il faut trouver des investisseurs, acquérir des clients et commander la construction de réacteurs à lit fluidisé certifiés ainsi que l’infrastructure correspondante, énumère Tilman Schildhauer. Passer de la recherche à l’industrie est un art en soi.» Il s’agit donc d’avoir les compétences stratégiques et de mettre en place un réseau de fournisseurs qui doivent connaître la technologie en question. Avec AlphaSYNT, le PSI a trouvé le partenaire idéal qui, grâce à son expérience, est à même de relever ces défis. Ensemble, les deux acteurs entendent à présent mettre cette nouvelle méthode de méthanation sur le marché. Toutefois, ce ne sera pas pour les ménages privés, car la technologie est trop complexe. Ce sont plutôt les grands fournisseurs d’énergie, qui possèdent les réseaux de gaz ou les installations de purification de biogaz et des eaux usées, qui devraient en profiter.

«La commercialisation de cette technologie doit permettre de remplacer de manière successive les gaz fossiles par du méthane renouvelable, explique Andreas Aeschimann, CEO chez AlphaSYNT. Le courant issu de sources d’énergie renouvelables et ainsi stocké devrait par ailleurs contribuer à la stabilité du réseau en étant utilisable également hors saison.»

Le courant est converti en hydrogène, et l’hydrogène en méthane

Le Power-to-Methane est un processus qui se joue en deux temps. Il faut d’abord produire de l’hydrogène (Power-to-Hydrogen) par ce qu’on appelle l’électrolyse de l’eau. A cet effet, on utilise du courant pour scinder de l’eau (H2O) en hydrogène (H2) et en oxygène (O). L’énergie électrique est ainsi convertie en hydrogène, autrement dit en énergie chimique. La méthanation proprement dite a lieu lors de la seconde étape. L’hydrogène produit est ajouté au biogaz, afin de convertir le CO2 que ce dernier contient en méthane et en eau. Finalement, l’énergie électrique est convertie en méthane, autrement dit en énergie chimique (Power-to-Methane).

En 1902 déjà, deux chimistes français, Paul Sabatier et Jean-Baptiste Senderens, avaient découvert que la réaction du CO ou du CO2 et de l’hydrogène (H2) produisait du méthane (CH4) et de l’eau (H2O). Depuis cette découverte, de nombreux procédés ont été mis au point pour rendre cette réaction aussi efficace que possible. Actuellement, on distingue la conversion catalytique et la conversion biologique. La première consiste à utiliser certains métaux (du nickel, le plus souvent) pour accélérer la réaction, et la seconde des microorganismes spéciaux.

La méthode de méthanation mise au point au PSI est une méthode catalytique. Pour ce faire, les chercheurs ont développé un réacteur à lit fluidisé contenant des particules de nickel à grain fin qui font office de catalyseur. Avec l’arrivée du biogaz et de l’hydrogène, les particules sont soulevées en tourbillons et mises dans un état fluidisé par le flux ascendant.

Hormis du méthane et de l’eau, cette réaction produit aussi des températures élevées. Pour maintenir le processus et obtenir des taux de conversion élevés, le mélange doit être refroidi à la température de réaction optimale. Tilman Schildhauer et son équipe ont utilisé une astuce particulière à cet effet: «Nous faisons circuler de l’huile à travers le réacteur par un système de tuyaux, explique Tilman Schildhauer. L’huile absorbe la chaleur à l’intérieur du réacteur et la restitue une fois à l’extérieur. Un peu comme dans un réfrigérateur.» Cette construction et la fluidisation des particules permettent un refroidissement particulièrement intense, avec pour résultat un réacteur isotherme, compact et peu coûteux.

Une question se pose toutefois: pourquoi une méthode Power-to-Methane en deux temps est-elle nécessaire? Après tout, l’énergie excédentaire est déjà stockée pendant la première étape sous forme d’hydrogène. Avec des piles à combustible, comme celles que l’on trouve dans les véhicules à hydrogène par exemple, l’hydrogène pourrait être directement reconverti en courant. La méthanation n’est-elle donc pas inutile? «L’hydrogène est un gaz très léger dont le stockage nécessite un énorme volume, rappelle Tilman Schildhauer. La conversion en méthane permet donc d’économiser de la place, car le méthane nécessite seulement un tiers du volume de stockage de l’hydrogène pour un contenu énergétique identique. Par ailleurs, le méthane peut aujourd’hui déjà être utilisé et stocké dans le réseau de gaz existant. Le méthane est une batterie à long terme dont nous pouvons profiter dès maintenant.»

Le réacteur fait partie de la plateforme Energy System Integration ESI du PSI, en abrégé ESI. L’objectif de cette plateforme est d'étudier et d'améliorer la faisabilité technique et économique de différentes variantes de la technologie power-to-gas, en étroite collaboration avec des partenaires de la recherche et de l'industrie.

La start-up AlphaSYNT a été fondée fin 2020 par Andreas Aeschimann (directeur) et Luca Schmidlin (directeur technique). Grâce à sa longue expérience dans l’ingénierie, Andreas Aeschimann est familier de la planification et de la construction d’installations complexes. Il connaît le secteur et dispose des contacts nécessaires et d’une grande expérience des affaires. Son partenaire commercial, Luca Schmidlin, est actif depuis 2014 dans la recherche Power-to-Gas appliquée. En plus de ses connaissances du système, il apporte son expérience dans l’exploitation d’installations de démonstration Power-to-X et dispose d’un très bon réseau dans la branche. Il est responsable de la plateforme de recherche Power-to-X à la Haute école spécialisée de Suisse orientale (OST)