Vers une climatisation individualisée au bureau

Les différences de ressenti individuel de la température ambiante dans un même bureau sont importantes, démontre une recherche menée à l’EPFL. Personnaliser la climatisation permettrait ainsi d’améliorer le confort de ses occupantes et occupants tout en réalisant des économies énergétiques.
Il existe d’importantes différences interindividuelles face au confort thermique. © iStock

Réfléchir au confort thermique des personnes à l’intérieur des bâtiments est devenu un enjeu stratégique et économique de premier ordre. D’une part le réchauffement climatique provoque des périodes de canicules à répétition. D’autre part, une course contre la montre est engagée à l’échelle mondiale pour réduire la consommation énergétique et l’empreinte carbone des édifices d’ici 2050. Dolaana Khovalyg, professeure assistante tenure track à la Faculté ENAC, planche sur ces défis à la tête du Laboratoire d’ingénierie du confort intégré (ICE), affilié au centre de recherche Smart Living Lab de Fribourg.

Sa dernière étude, publiée sous la forme d’un court rapport spécialisé dans la revue médicale Obesity Journal, souligne la pertinence de personnaliser la climatisation et le chauffage de son espace de travail plutôt que de conserver une température standard dans l’ensemble de l’open-space. Pour arriver à cette conclusion, la chercheuse et ses équipes ont démontré, sur la base de preuves thermophysiologiques humaines, qu’il existe d’importantes différences interindividuelles face au confort thermique dans des conditions de vie normale d’un bureau.

Un participant dans la chambre climatique du laboratoire ICE, au Smart Living Lab. © D. Khovalyg, EPFL 2021

Recherche multidisciplinaire

Cette recherche s’inscrit dans une approche multidisciplinaire qui tient compte des interactions entre l’humain et le bâtiment en intégrant le savoir-faire de l’ingénierie appliquée à des connaissances de physiologie humaine. Pour compléter le volet technique, Dolaana Khovalyg a étroitement collaboré avec Yann Ravussin, responsable du Laboratoire d’Energétique et de Nutrition Avancée (LEAN), rattaché à la Faculté de médecine de l’Université de Fribourg.

«Aujourd’hui, les systèmes de climatisation sont concentrés sur l’espace et non sur les individus. Ils sont calculés pour le confort d’une personne type sans aucune différence substantielle. Or, ces dernières années, les recherches ont montré que chaque personne a des ressentis très différents face à la température ambiante intérieure», indique Dolanna Khovalyg. Ainsi, l’âge et le sexe influencent le métabolisme qui fluctue aussi bien avec l’alimentation, les saisons ou encore les rythmes circadiens. Ces différences ont un impact sur la satisfaction et le confort des individus. «Avec une température moyenne de 21 degrés dans l’espace de travail en hiver, certains ont chauds, d’autres froids. Si 80% sont satisfaits de la situation, 20% ne le sont pas. Nos recherches visent à optimiser le confort de toutes et tous, sans distinction», détaille Dolaana Khovalyg. «Les humains sont des machines qui produisent de la chaleur qu’ils doivent évacuer. Nous avons aujourd’hui à disposition la technologie et les outils de surveillance nécessaires pour mesurer cette chaleur individuellement et à la minute.»

«Aujourd’hui, les systèmes de climatisation sont concentrés sur l’espace et non sur les individus.»      Dolaana Khovalyg, directrice du Laboratoire d’ingénierie du confort intégré (ICE), Smart Living Lab

Dépenses caloriques très variables

C’est pourquoi l’expérience pratique de cette recherche s’est focalisée sur l’analyse des dépenses caloriques individuelles de six participantes et participants, un échantillon représentatif de personnes ordinaires suceptibles de partager un même bureau. Pendant trois mois ils et elles ont participé à toute une série d’expériences dans une chambre climatique spécialement adaptée et située dans le laboratoire ICE à Fribourg. Dans cet espace où les températures variaient de 16 à 24 degrés, ces personnes s’adonnaient à des activités quotidiennes comme s’assoir, se mettre debout ou manger un repas. Pour la chercheuse, un échantillon de six individus était suffisant, puisque le but de la démonstration n’était pas de produire des statistiques ou une moyenne, mais bien d’obtenir des valeurs individuelles à comparer.

Habituellement, les études qui calculent la dépense calorique des individus se concentrent sur les cas extrêmes, comme les athlètes, les aventuriers ou les militaires qui participent à des expéditions en milieu hostile. Le travailleur lambda dans un bureau, public cible de Dolaana Khovalyg, est rarement analysé.

Dans sa recherche, des différences interindividuelles significatives entre les sujets ont été démontrées, en particulier entre deux hommes de corpulence égale lors d’activités identiques. Des analyses plus ciblées ont également permis de calculer une différence très variable de vasoconstriction, soit la régulation de la pression artérielle entre la poitrine et le bout des doigts, malgré une température ambiante de 24 degrés. «Cela s’est révélé significatif chez les femmes en particulier. Certaines avaient plus vite froid aux mains que d’autres», détaille Dolaana Khovalyg.

Un défi éthique

La capacité de mesurer précisément la dépense calorique de chaque individu ouvre de nouvelles perspectives techniques: il est désormais possible d’adapter en temps réel la ventilation ou le chauffage localement en intégrant ces données dans les calculs du système central de thermorégulation et ainsi d’optimiser la consommation d’énergie du bâtiment. Les tables et chaises chauffantes ou rafraichissantes actuelles ne fonctionnent qu’avec des degrés de température limités. Cette nouvelle technolgie permettra par exemple de les personaliser.

Image infrarouge du système modulaire de chauffage et de refroidissement de surface dans la chambre climatique du laboratoire ICE. © D. Khovalyg, EPFL 2022

Dans cette recherche, les outils de mesure étaient contraignants, reconnaît la chercheuse, à l’instar de masques en silicone sur le visage ou des capteurs portatifs placés sur le corps. «La prochaine étape est d’avoir recours à des moyens moins invasifs, précise Dolaana Khovalyg. Par exemple, la marge d’erreur des montres connectées déjà à disposition est encore trop grande. Actuellement nous travaillons avec des caméras infrarouges plus précises qui permettent de mesurer plus de personnes à la fois de manière non-intrusive gâce à notre modèle basé sur la physiologie humaine. Les données sont traités à l’aide d’algorithmes directement intégrés au système de contrôle de la ventilation». La chercheuse estime une application concrète de cette nouvelle technologie dans les bâtiments intelligents d’ici une dizaine d’années.

Restent les questions éthiques à clarifier, principal défi de ce domaine de recherche. Comment utiliser ces données personnelles à large échelle? Des pistes se dessinent avec l’usage d’outils de mesures non invasifs qui ne stockent pas ces informations. «On travaille par exemple sur des capteurs placés directement sur la chaise de l’employé plutôt que sur son corps. Toutefois, les usagers de ces futurs bâtiments intelligents devront tous être informés de cette pratique d’une manière ou d’une autre», conclut Dolaana Khovalyg.