Apporter la lumière du SwissFEL aux utilisateurs industriels

Les entreprises pharmaceutiques ont beaucoup à gagner de l’utilisation de la lumière issue des lasers à rayons X à électrons libres (XFELs) pour étudier les structures de protéines, mais le débit représente un obstacle. La station expérimentale Cristallina au SwissFEL, qui a récemment lancé son premier appel d’offres pour les utilisateurs en biologie structurale, promet de changer la donne. John Beale, responsable de la cristallographie macromoléculaire à Cristallina, nous explique comment.
John Beale au-dessus du SwissFEL: la grande installation de recherche SwissFEL mesure 740 mètres de long et jusqu'à 50 mètres de large à certains endroits. Elle se trouve à côté du site du PSI dans la forêt de Würenlingen et a été presque entièrement végétalisée (Photo: Institut Paul Scherrer/Markus Fischer)

John Beale, commençons par clarifier la terminologie. Cristallina est la troisième station expérimentale dans le domaine des rayons X durs du SwissFEL. Vous êtes responsable d’un projet baptisé Cristallina-MX. De quoi s’agit-il?

John Beale: Avec Cristallina-MX, notre objectif est de fournir de la cristallographie macromoléculaire en utilisant un laser à rayons X à électrons libres à un débit accru. Cela permettra à l’industrie d’exploiter plus facilement cette source. Le potentiel d’utilisation des lasers à rayons X à électrons libres dans la découverte de médicaments est important, mais l’inefficacité des collectes de données et le débit d’échantillon sont actuellement un frein.

Pourquoi?

Des lasers à rayons X à électrons libres comme le SwissFEL correspondent à un type d’installation très spécial. Actuellement, il n’en existe que cinq ouverts aux utilisateurs dans le monde. Etant donné leur structure linéaire, chacune d’eux ne compte qu’un nombre limité de stations expérimentales. Au SwissFEL, nous avons seulement deux lignes de faisceau, comparés aux 16 que compte la Source de Lumière Suisse SLS. Avec des expériences qui, typiquement, durent entre trois et cinq jours, l’obtention de temps de faisceau à un laser à rayons X à électrons libres fait l’objet d’une forte concurrence et c’est compréhensible. Ces temps de faisceau sont également très complexes et nécessitent d’être longuement optimisés par des utilisateurs expérimentés.

Or pour l’industrie, le temps, c’est de l’argent. Les utilisateurs industriels ont besoin d’un débit d’échantillon plus élevé et d’automatisation. Ils doivent pouvoir conduire leurs expériences en quelques heures, et non en une semaine. Si nous pouvons leur faciliter la tâche nous pouvons élargir la base d’utilisateurs – en incluant également de nouveaux utilisateurs académiques – susceptibles de bénéficier de la brillance accrue que fournit un laser à rayons X à électrons libres.

Qu’est-ce que les sociétés pharmaceutiques ont à gagner à faire de la cristallographie macromoléculaire à un laser à rayons X à électrons libres?

Permettez-moi d’expliquer un peu le contexte pour commencer.

A un laser à rayons X à électrons libres, les cristaux de protéines sont détruits pratiquement à l’instant où la lumière les touche. Nous avons environ dix femtosecondes pour collecter un diagramme de diffraction avant que cela ne se produise. Nous parlons de «diffraction avant destruction». Ce délai n’est pas suffisant pour faire tourner un cristal et recueillir de multiples diagrammes de diffraction comme nous le ferions à un synchrotron. A la place, nous mesurons les diagrammes de diffraction de milliers de cristaux de protéines différents et dans des orientations aléatoires que nous assemblons pour calculer une structure. C’est ce qu’on appelle la cristallographie sérielle femtoseconde.

Pour les compagnies pharmaceutiques, la cristallographie sérielle femtoseconde présente trois principales propositions de valeur.

La première consiste à étudier les protéines qui ne se développent généralement que sous forme de petits cristaux présentant une diffraction faible et qui nécessitent une brillance supérieure à celle que l’on peut obtenir avec les synchrotrons. Le groupe le plus évident ici est celui des protéines membranaires, qui sont notoirement difficiles à cristalliser mais constituent une vaste source de cibles médicamenteuses. Apparemment, jusqu’à 60 % des cibles médicamenteuses actuelles sont des protéines membranaires.

Et les autres raisons? Laissez-moi deviner, est-ce que cela a quelque chose à voir avec le « femto» dans cristallographie sérielle femtoseconde?

Vous avez vu juste. Ce sont les mesures résolues en temps. Les synchrotrons ne peuvent pas atteindre les mêmes échelles de temps ultrarapides que celles que nous obtenons avec un laser à rayons X à électrons libres. Cela signifie que nous sommes en mesure d’étudier la dynamique des structures de protéines et leurs mécanismes moléculaires avec une résolution proche de l’atome.

Et la troisième raison?

A un laser à rayons X à électrons libres, nous collectons des structures véritablement exemptes de dommages causés par les radiations. En d’autres termes, nous pouvons étudier des protéines qui ne sont pas refroidies par cryogénie et qui se trouvent dans un état plus physiologique. Cela peut permettre, par exemple, d’étudier des protéines contenant des ions métalliques. Celles-ci sont notoirement difficiles à capturer correctement dans un synchrotron, mais avec un laser à rayons X à électrons libres, nous pouvons les étudier dans leur état non réduit. Le cofacteur métallique peut rendre ces protéines assez hétérogènes dans leurs partenaires de liaison. Elles sont donc difficiles à inhiber spécifiquement et, par conséquent, ce ne sont pas des cibles habituelles pour la découverte de médicaments. Si nous parvenons à capturer ces protéines dans leur forme non réduite, nous pourrons peut-être mieux les utiliser comme cibles médicamenteuses.

Alors, comment augmentez-vous le débit à Cristallina-MX?

Tout réside véritablement dans la manière dont les échantillons sont délivrés. Je vais vous expliquer pourquoi. Pour la cristallographie sérielle femtoseconde, les cristaux doivent être délivrés en continu. Pour ce faire, on utilise généralement des jets de liquide: la méthode consiste à projeter devant le faisceau une solution contenant de nombreux petits cristaux de protéines. Ce procédé permet de conduire un grand nombre de travaux scientifiques fantastiques, mais il nécessite beaucoup d’échantillons et est difficile à automatiser.

Nous ne faisons pas cela. Nous utilisons des cibles fixes. Pour les échantillons de protéines non membranaires, nous avons fabriqué, en collaboration avec le Laboratoire de nanosciences et technologies des rayons X du PSI, un support solide qui contient 26 000 petites ouvertures où une suspension de cristaux de protéines peut être chargée. Nous pouvons ensuite les balayer très rapidement, en obtenant un diagramme de diffraction de chaque puits. Pour les protéines membranaires en milieu visqueux, nous utilisons une cible développée par l’Institut Max Planck de Heidelberg.

Ces cibles produisent le même effet qu’un jet de liquide, mais nécessitent moins d’échantillon et donnent un taux de réussite plus élevé. Elles se prêtent également mieux à l’automatisation. Dans l’ensemble, nous pouvons donc être beaucoup plus rapides.

De quelle vitesse parlons-nous?

Eh bien, le balayage d’une cible peut prendre seulement quelques minutes. La clé est d’obtenir un taux de succès élevé et de collecter autant de données que possible dans ce laps de temps. Après l’analyse, les cibles doivent être échangées, ce qui limite le débit. C’est pourquoi nous avons installé un robot pour effectuer cette opération. A terme, l’ensemble du processus sera entièrement automatisé.

Avec tout cela, nous espérons pouvoir offrir des analyses à très haut débit avec la cristallographie sérielle femtoseconde à au moins deux à trois clients industriels par jour pendant les heures de faisceau, en plus de nos utilisateurs académiques. Nous espérons que cela deviendra une ressource majeure pour les entreprises pharmaceutiques.

Portrait

John Beale a fait ses études de biochimie à l’Imperial College London et obtenu son doctorat à l’Université d’Oxford. Il a travaillé ensuite au Diamond Light Source, le synchrotron du Royaume Uni, où il a développé des techniques de cristallographie sérielle. En 2019, John Beale est arrivé au PSI par l’entremise d’une bourse Marie Skłodowska Curie pour poursuivre ces recherches. En 2020, il est devenu scientifique de la ligne de lumière dédiée à la cristallographie sérielle femtoseconde (SFX) sur Cristallina, avec responsabilité du projet Cristallina-MX.