Un nouvel élan pour l'autoroute des données

Des quantités de plus en plus importantes de données sont envoyées et reçues dans le monde entier. Pour que cet échange continue à fonctionner sans problème, de nouvelles solutions sont nécessaires aux interfaces entre les puces et les fibres optiques. La spin-off de l'ETH Zurich Lumiphase s'appuie sur un nouveau matériau qui convertit efficacement les signaux électriques en signaux optiques.
Le laboratoire d'essai vérifie la capacité des puces de Lumiphase à convertir les signaux électriques en signaux optiques. (Image: Lumiphase)

Nous rencontrons Felix Eltes pour un entretien dans un immeuble de bureaux sans prétention situé dans la banlieue de Kilchberg, près de Zurich, niché entre une autoroute et une entreprise de jardinage. A première vue, l'intérieur du bâtiment n'indique pas non plus qu'il abrite une entreprise qui veut donner un nouvel élan à l'industrie informatique. Un bureau fonctionnel en espace ouvert avec une multitude de postes de travail informatiques, une salle de réunion simple avec un écran surdimensionné pour la vidéoconférence, un petit laboratoire à moitié rempli qui, à première vue, ressemble plutôt à une salle de bricolage - voilà, en clair, le royaume de la spin-off de l'ETH Zurich Lumiphase, que Felix Eltes a fondée au printemps 2020 avec Stefan Abel, Lukas Czornomaz et Jean Fompeyrine.

Mais les premières impressions peuvent être trompeuses. Les 4 fondateurs de l'entreprise et leur équipe, qui compte désormais 17 personnes, ont de grands projets: les composants que cette jeune entreprise développe permettront à l'avenir d'envoyer et de recevoir des données entre de grands centres de données de manière beaucoup plus rapide et efficace.

Goulot d'étranglement du trafic de données

Il s'agit également d'un besoin urgent, car dans le monde numérique d'aujourd'hui, il existe une interface importante qui devient de plus en plus préoccupante. Les données qui sont traitées et stockées dans des puces électroniques passent entre les ordinateurs le long de fibres optiques. Cela signifie que le signal électrique doit être converti en signal optique à un moment donné, puis de nouveau en signal électrique.

C'est précisément cette interface qui devient de plus en plus un goulot d'étranglement critique, car la vitesse à laquelle les données peuvent être échangées dépend également de l'efficacité de la conversion du signal. Les technologies actuelles peuvent être suffisantes pour un usage privé, car très peu d'utilisatrices et utilisateurs domestiques épuiseront réellement une bande passante de 1 Gb/s (gigabit par seconde) ou plus. Mais dans le secteur commercial, où de grands volumes de données doivent être traités, ces taux de transmission ne sont plus suffisants. Actuellement, le 400 Gb/s est en passe de devenir la norme dans ce domaine. Et comme la croissance rapide des volumes de données est sans fin, il est probable que même cette performance ne sera bientôt plus suffisante.

Compétition mondiale

Aujourd'hui, les signaux électriques sont convertis en signaux optiques à l'aide de composants relativement grands qui nécessitent beaucoup d'énergie. C'est pourquoi les chercheuses et chercheurs du monde entier cherchent fébrilement de nouvelles façons de relier les deux systèmes aussi efficacement que possible.

Les fondateurs de Lumiphase sont convaincus qu'ils ont de très bonnes cartes en main dans cette compétition. «Nous avons développé une approche prometteuse», explique Felix Eltes avec une fierté évidente. Au cœur de la nouvelle technologie se trouve un matériau spécial développé ces dernières années en étroite collaboration entre les chercheuses et chercheurs d'IBM Research à Rüschlikon et de l'ETH Zurich: le titanate de baryum. Les propriétés physiques de ce cristal permettent de construire des puces beaucoup plus petites et plus économes en énergie, qui peuvent également convertir les données plus efficacement. En effet, le titanate de baryum offre une combinaison idéale de propriétés nécessaires dans le monde optique et électrique.

Des années de recherche

Felix Eltes lui-même travaille depuis plusieurs années sur ce nouveau matériau prometteur. Après avoir effectué un semestre d'échange à Zurich pendant ses études à l'Université de Lund en Suède, il a rejoint le Centre de recherche IBM à Rüschlikon pour rédiger son mémoire de master. Il a ensuite poursuivi sa carrière universitaire dans le cadre d'une thèse de doctorat rédigée sous la direction de Manfried Fiebig, professeur de matériaux ferroïques multifonctionnels à l'ETH Zurich, pour laquelle il a obtenu la médaille de l'ETH Zurich pour les thèses de doctorat exceptionnelles en 2020.

Felix Eltes affirme que le passage de sa Suède natale à la Suisse n'a pas été particulièrement difficile pour lui. «Les deux pays sont similaires à bien des égards». La seule chose qui lui manque ici est la mer, puisqu'il a grandi sur la côte ouest de la Suède et a toujours vécu près de l'eau. «Et, bien sûr, la nature sauvage et l'immensité des forêts suédoises», ajoute-t-il en riant. La Suisse lui semble assez surpeuplée. «Lorsque vous conduisez de Zurich à Genève, vous voyez des maisons de toutes sortes tout le long du trajet. Si vous voyagez de Stockholm à Göteborg, ce que vous verrez principalement par la fenêtre du train, c'est la nature sauvage.»

Un défi de taille

À Kilchberg, l'équipe de Lumiphase travaille maintenant à la commercialisation de la nouvelle technologie. «Montrer en laboratoire que l'on peut convertir efficacement des signaux avec notre matériau est une chose», note Felix Eltes. «Mais l'utiliser pour fabriquer des puces à bas prix en grande quantité est une toute autre histoire».Il est convaincu que cette grande étape sera couronnée de succès, même s'il est conscient que la création d'une nouvelle entreprise comporte de nombreuses incertitudes. «Nous sommes sur un marché dynamique où les choses changent constamment». Pour lui, en tant que jeune chercheur qui vient de terminer son doctorat, le risque personnel lié à la création d'une entreprise est gérable. «Cependant, mes cofondateurs ont tous renoncé à des postes permanents chez IBM pour lancer Lumiphase. Cela montre à quel point nous sommes motivés et convaincus par notre technologie et notre idée commerciale.»

Coopération étroite avec la recherche

Jusqu'à présent, leur projet a suscité un vif intérêt de la part de partenaires industriels potentiels. «Le besoin de nouvelles solutions est énorme», affirme Felix Eltes. La promesse de cette nouvelle approche est également démontrée par le fait que la jeune entreprise a remporté cette année d'importants prix de start-up suisses, notamment le prix W.A. de Vigier pour les jeunes entrepreneurs et le concours de start-up Venture. «Ces prix sont la confirmation que nous sommes sur une voie prometteuse», déclare le chercheur.

Mais la jeune entreprise n'a pas le temps de se reposer sur ses lauriers. Il faudra encore beaucoup de travail de développement avant que la percée ne soit réalisée. «Nous voulons livrer un produit commercialisable lorsque la nouvelle norme industrielle sera introduite, et nous travaillons en étroite collaboration avec les clients pour y parvenir», explique Felix Eltes. La barre à franchir ne sera plus alors de 400 Gb/s, mais de 800 Gb/s. En cours de route, Lumiphase continue de bénéficier de son étroite collaboration avec IBM Research, qui lui donne accès à des infrastructures de recherche hautement spécialisées. «Nous développons également en permanence nos propres laboratoires», explique Felix Eltes. «Ce pour quoi nous les utilisons principalement en ce moment, c'est pour tester la fiabilité de nos nouvelles puces.»

Pour Lumiphase, c'est un coup de chance qu'il y ait ici à Zurich deux institutions de recherche de premier ordre avec lesquelles l'entreprise peut collaborer. «Le fait d'être situé dans cet environnement nous aide également à trouver de nouvelles et nouveaux employés qualifiés», explique Felix Eltes. «Nous recherchons des personnes qui apportent des compétences très spécifiques. Et jusqu'à présent, nous avons réussi à attirer les bons professionnels pour notre projet.»