Pourquoi la Suisse expédie-t-elle du CO2 en Islande ?

Hier, le président de la Confédération Alain Berset a visité l'usine Carbfix en Islande et les installations où est mis en œuvre le projet pilote DemoUpCARMA. Ce projet vise à injecter et à stocker du CO2 dans le sous-sol islandais. Marco Mazzotti, coordinateur du projet et professeur à l'ETH Zurich, explique pourquoi le CO2 suisse est acheminé jusqu'en Islande.
Le président de la Confédération Alain Berset, au centre, écoute la présentation d'Edda Aradottir, PDG de Carbfix (à gauche). Marco Mazzotti (à droite), professeur à l'ETH Zurich, est le coordinateur du projet pilote DemoUpCARMA, dirigé par l'ETH Zurich. (Photo : Keystone / Anthony Anex)

Alain Berset vient de visiter le projet DemoUpCARMA en Islande. Qu'a-t-il vu ?

Marco Mazzotti : Le président a visité le site d'injection du dioxyde de carbone, c'est-à-dire le lieu où les conteneurs remplis de CO2 suisse arrivent et sont reliés à un système d'injection par un pipeline. Pendant sa visite, le dioxyde de carbone a été injecté en continu à partir de réservoirs dans la roche basaltique, où il devrait se minéraliser et former du calcaire dans quelques années.

En quoi consiste DemoUpCARMA ?

Le projet DemoUpCARMA est un vaste consortium dirigé par l'ETH Zurich. Dans le cadre de ce projet, des chercheuses et chercheurs démontrent deux voies pour capturer, utiliser, transporter et stocker le CO2. Dans le premier cas, le COest minéralisé dans les agrégats de béton de démolition pour la production de nouveaux matériaux de construction, par exemple le béton de recyclage, connu sous le nom de «capture, utilisation et séquestration du carbone» (CUSC). Dans la seconde voie, le COest transporté au-delà des frontières et stocké dans des formations de basalte sous terre en Islande. C'est ce qu'on appelle le «captage, transport et stockage du dioxyde de carbone» (CTSC). Ce projet international utilise, entre autres, la technologie et l'infrastructure d'injection de la société islandaise Carbfix. Dans le cadre de ce projet pilote, nous transportons pour la première fois de la Suisse vers l'Islande du CO2 destiné à un stockage géologique permanent. Le dioxyde de carbone transporté provient d'une source biogène située à Berne, c'est-à-dire qu'il a été produit par fermentation de la biomasse et séparé du biométhane dans une usine de valorisation du biogaz. Après son captage, il est liquéfié et transporté dans des conteneurs spéciaux, qu'on appelle isotainers.

Comment imaginer le transport ?

Tout d'abord, un camion transporte les isotainers de Berne, où se trouve la source de CO2, à Bâle. Ensuite, les conteneurs sont transportés par chemin de fer jusqu'à Rotterdam. De là, ils sont expédiés à Reykjavik, puis transportés par camion jusqu'au site de stockage islandais. Un conteneur contient 20 tonnes de CO2.

«La capacité de stockage de l'Islande est énorme : les experts et expertes parlent de plusieurs gigatonnes de CO2.»      Marco Mazzotti

Combien de conteneurs ont été transportés en Islande jusqu'à présent ?

Il est prévu d'effectuer 50 voyages vers l'Islande, en utilisant cinq conteneurs au total ; quatre expéditions ont été livrées jusqu'à présent. Deux conteneurs ont été vidés et le CO2, mélangé à de l'eau douce, a été injecté sous terre. A l'avenir, nous prévoyons de tester l'utilisation de l'eau de mer pour dissoudre le CO2 avant l'injection. Il s'agit d'une nouveauté technologique et une percée potentielle pour l'application à grande échelle de cette solution.

Pourquoi le Conseil fédéral s'intéresse-t-il à ce projet ?

Le développement de solutions pour le captage et le stockage du CO2 et pour l'élimination du dioxyde de carbone fait partie de la stratégie climatique de la Suisse. Si la Suisse veut atteindre son objectif du zéro émission nette, elle devra capturer annuellement environ 12 millions de tonnes de CO2 en 2050, soit à partir de sources ponctuelles, soit directement à partir de l'amosphère. DemoUpCARMA est la première étape du développement de ces solutions. Il est nécessaire de commencer le plus tôt possible afin d'identifier et de relever tous les défis connexes à un stade précoce. Le Conseil fédéral s'intéresse au projet et le soutient financièrement par l'intermédiaire des offices fédéraux de l'énergie et de l'environnement.

Quels sont les autres objectifs de DemoUpCARMA ?

Outre les activités décrites ci-dessus, DemoUpCARMA vise à étudier la faisabilité d'une mise à l'échelle des deux solutions. Cela se fera dans une perspective holistique, c'est-à-dire que nous analyserons d'abord les performances techniques, économiques, environnementales et liées aux risques des chaînes d'approvisionnement CTSC et CUSC en Suisse. Ensuite, nous abordons les aspects liés à la réglementation, à la certification, au financement, à la gouvernance et à la perception du public. Enfin, en collaboration avec des partenaires industriels, nous étudions l'intégration de la capture du CO2 dans deux usines spécifiques, à savoir l'usine de traitement des déchets solides municipaux de la ville de Zurich et Jura Cement à Wildegg (AG).

Où en est le projet ?

La démonstration de la voie CUSC dans le béton de démolition en Suisse est presque terminée. Les études de mise à l'échelle seront terminées avant la fin de l'année. La voie CTSC, avec injection en Islande, prendra six à dix mois de plus en raison de retards dans l'achèvement du nouveau site d'injection, où nous testerons l'utilisation de l'eau de mer.

Pourquoi le projet est-il réalisé en Islande ?

L'Islande a été choisie pour deux raisons : c'est le seul pays où un site de stockage de CO2 est disponible et prêt à en recevoir de l'étranger. D'autres opérations de stockage de CO2 sont menées, mais le plus souvent à l'échelle d'un pays ou d'une entreprise. En outre, Carbfix utilise une technologie unique, grâce à laquelle le CO2 dissous dans l'eau est rapidement minéralisé après l'injection par une réaction avec la formation basaltique. Dans le cadre de cette coopération entre la Suisse et l'Islande, Carbfix mettra au point un nouveau procédé d'injection qui utilise de l'eau de mer plutôt que de l'eau douce. Enfin, un ensemble de techniques de surveillance avancées qui seront exploitées par des scientifiques suisses, tels que le Service sismologique suisse de l'ETH Zurich, sera mis en œuvre. Cela ajoute une valeur substantielle aux composantes scientifiques du projet.

Le CO2 pourrait-il également être stocké de cette manière en Suisse ou dans d'autres régions d'Europe continentale ?

Les partenaires suisses de DemoUpCARMA explorent en effet cette possibilité, bien que la géologie suisse ne semble pas présenter de propriétés favorables au stockage du CO2 par minéralisation. Il est toutefois trop tôt pour tirer des conclusions définitives.

Quelle quantité de CO2 pourra-t-on stocker en Islande ?

La capacité de stockage de l'Islande est énorme : les experts et expertes parlent de plusieurs gigatonnes de CO2. Toutefois, les scientifiques ont encore besoin de mieux comprendre dans quelle mesure cette capacité peut être exploitée à terme. DemoUpCARMA et l'injection de CO2 à l'aide d'eau de mer constituent une avancée importante vers l'exploitation de cette capacité.

N'est-ce pas une goutte d'eau dans l'océan ?

DemoUpCARMA est en effet une goutte d'eau dans l'océan, mais il faut bien commencer quelque part lorsqu'une nouvelle technologie vise un déploiement à grande échelle. Bien entendu, de nombreuses autres mesures devront être mises en œuvre pour faire face à la crise climatique ; le CSC ne peut à lui seul résoudre le problème.

Plus d'informations

Marco Mazzotti est professeur d'ingénierie des procédés à l'ETH Zurich depuis 1997 et coordonne le projet DemoUpCARMA.