Pourquoi les forêts brunissent-elles en été ?

L'augmentation de la chaleur et de la sécheresse estivales affecte les forêts européennes. Certaines années, les arbres brunissent prématurément et certains commencent même à dépérir. Des scientifiques de l'ETH Zurich et du WSL montrent comment des conditions météorologiques exceptionnelles sur plusieurs années font brunir les forêts.
(Photo : Valentin Queloz / WSL)

Résumé

  • Les forêts européennes brunissent de plus en plus au cours des étés chauds et secs.
  • Au cours de l'été caniculaire de 2022, l'Europe a vu plus d'arbres brunir que jamais, 37% des régions forestières tempérées et méditerranéennes étant touchées.
  • Dans l'historique météorologique de trois ans des événements de faible verdure, des signaux météorologiques caractéristiques peuvent être trouvés comme précurseurs des événements.

C'est comme si l'automne était arrivé en juillet. Les randonneurs et randonneuses qui se sont promenées dans les forêts suisses ou allemandes au cours de l'été 2018 ont littéralement pu constater l'impact sur les arbres du temps chaud et sec qui régnait en Europe centrale. Les épicéas et les hêtres, en particulier, se sont desséchés prématurément, leurs feuilles et leurs aiguilles devenant brunes, des peuplements forestiers entiers étant soumis à un stress permanent. Dans la région méditerranéenne, de tels phénomènes à grande échelle se sont déjà produits à plusieurs reprises depuis 2003.

Des chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich ont maintenant examiné systématiquement tous les événements de faible verdure dans les forêts tempérées et méditerranéennes d'Europe au cours des 21 dernières années (2002-2022). L'étude qui en résulte, réalisée avec des collègues de l'Institut fédéral suisse de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL), vient d'être publiée dans la revue Biogeosciences.

Des niveaux de brunissement record l'été dernier

Dans le cadre de leurs efforts pour étudier le brunissement des forêts à travers l'Europe, les scientifiques ont utilisé des données satellitaires à haute résolution pour identifier les événements de réduction à grande échelle de la verdure des forêts en été. La réduction de la verdure est un signe de vitalité réduite et de stress dans les forêts et est également utilisée comme indicateur du dépérissement forestier.

Les résultats confirment les observations précédentes : le brunissement estival s'est répandu dans toute l'Europe. Les forêts d'Europe centrale (tempérée) ont subi un brunissement particulièrement important ces dernières années. La région méditerranéenne a connu des événements majeurs dès le début des années 2000.

Dans leur analyse, les chercheuses et chercheurs ont également quantifié pour la première fois l'été record de 2022 et son impact sur les forêts européennes : au cours de l'été le plus chaud depuis le début des relevés, l'Europe a connu le brunissement le plus important jamais enregistré, couvrant 37% des régions forestières tempérées et méditerranéennes - «bien plus que tout autre événement au cours des deux dernières décennies», déclare Mauro Hermann, doctorant en dynamique atmosphérique sous la direction de Heini Wernli, professeur à l'ETH Zurich, et auteur principal de l'étude.

À la recherche d'une histoire commune

Ce n'était pas vraiment le but recherché par l'équipe de l'ETH-WSL. «Nous voulions comprendre comment les conditions météorologiques affectent les forêts sur une vaste zone pendant plusieurs saisons», explique Heini Wernli, professeur de physique de l'atmosphère à l'ETH Zurich, qui a dirigé l'étude. Le rôle central de la sécheresse était évident. «Cependant, le lien entre les forêts et les conditions météorologiques est beaucoup plus complexe qu'il n'y paraît à première vue», explique-t-il.

«Toutes les périodes de sécheresse, même si elles sont intenses et persistantes, n'entraînent pas immédiatement le brunissement des forêts», ajoute Mauro Hermann, en faisant référence à l'effet d'héritage que l'on observe dans nos forêts depuis un certain nombre d'années. La capacité des arbres à survivre à la chaleur et à la sécheresse dépend non seulement des conditions météorologiques actuelles, mais aussi de celles des mois ou des années précédents.

C'est l'une des raisons pour lesquelles les scientifiques ont tenu à étudier l'historique météorologique des épisodes de faible verdure. Ils et elles ont cherché à identifier les schémas météorologiques caractéristiques qui ont précédé plusieurs des événements étudiés.

Identification de précurseurs spécifiques

Les scientifiques ont en effet trouvé des signaux météorologiques caractéristiques qui se sont produits bien avant les événements, dans une sorte de précurseur du brunissement avec certaines caractéristiques spécifiques pour l'Europe centrale et la région méditerranéenne. «En général, nous constatons que les périodes de faibles précipitations se produisent avec une fréquence inhabituelle deux ou trois ans avant les événements», explique Mauro Hermann.

Dans les deux zones, les signes météorologiques précurseurs les plus évidents sont des périodes de sécheresse accrues accompagnées d'un déficit manifeste de précipitations pendant au moins deux ans avant les événements. Dans la région méditerranéenne, les périodes de sécheresse fréquentes peuvent même remonter à trois ans. D'autres signaux sont les périodes fréquentes de températures élevées pendant au moins deux ans dans la zone tempérée. Mauro Hermann ajoute : «Avant d'observer une faible verdure dans les forêts d'Europe centrale, nous avons généralement observé deux étés secs et chauds consécutifs.»

Confirmation de la charge des années précédentes

Les conclusions des chercheurs et chercheuses sont confirmées par des exemples tirés des 21 années étudiées. L'été 2003, très chaud et sec dans une grande partie de l'Europe, n'a pratiquement pas laissé de traces à grande échelle sur la couleur des forêts. En revanche, depuis 2018, l'Europe a connu à plusieurs reprises des sécheresses de grande ampleur et des températures élevées, ce qui a entraîné plusieurs cas de brunissement important.

«L'une des conclusions de l'étude est que les signaux météorologiques identifiés soulignent les conséquences de la sécheresse des années précédentes et étayent ainsi l'effet d'héritage», note M. Hermann. Cela signifie qu'un seul été chaud et sec n'entraîne généralement pas immédiatement une réduction de la verdure des forêts, mais qu'il peut contribuer à des événements futurs de faible verdure de manière différée.

Des précurseurs, pas des prédictions

Ces signaux précurseurs permettront-ils aux scientifiques de prévoir le stress dû à la sécheresse et le brunissement des forêts à l'avenir ? La prudience reste de mise : «Nous avons analysé les événements rétrospectivement, mais nous n'avons pas examiné leur prévisibilité», déclare Mauro Hermann. Le fait que le stress dû à la sécheresse favorise indirectement la diminution de la verdure des forêts en encourageant les infestations de scolytes et de champignons ainsi que les incendies de forêt rend les prévisions généralement difficiles.

Thomas Wohlgemuth, directeur de l'unité de recherche «Dynamique forestière» au WSL et co-auteur de l'étude, estime que les prévisions basées uniquement sur les données météorologiques ne sont pas réalistes. L'écologiste forestier estime toutefois que la nouvelle compréhension du processus permettra d'améliorer les modèles forestiers et de contribuer à la prévention par la gestion forestière. «Une surveillance ciblée des conditions météorologiques sur plusieurs saisons pourrait fournir des informations précieuses pour déterminer si une décoloration prématurée des feuilles est susceptible de se produire l'été suivant», explique-t-il.

Référence

Hermann M, Röthlisberger M, Gessler A, Rigling A, Senf C, Wohlgemuth T, and Wernli H. Meteorological history of low forest greenness events in Europe in 2002−2022. Biogeosciences (2023), doi: 10.5194/bg-20-1155-2023