Où faut-il construire des éoliennes en Suisse ?

Une étude réalisée par des une équipe de recherche de l'ETH Zurich montre pour la première fois comment un assouplissement de la politique suisse d'aménagement du territoire influencerait l'emplacement des éoliennes. Si l'objectif est de réduire au maximum le nombre d'éoliennes dans les Alpes et en Suisse en général, il vaudrait la peine d'envisager l'utilisation de zones agricoles ventées sur le Plateau suisse occidental.
(Photo : Olivier Marie / Keystone)

Résumé

  • Pour produire les 4,3 TWh d'énergie éolienne par an prévus dans le concept d'énergie éolienne, il faudrait environ 760 éoliennes en Suisse d'ici à 2050.
  • Selon l'aménagement du territoire actuel, ce scénario nécessiterait une forte expansion de l'énergie éolienne dans les Alpes.
  • Si les surfaces d'assolement ventées pouvaient être utilisées pour l'énergie éolienne, près de 200 éoliennes de moins seraient nécessaires dans les Grisons et le Valais.
  • Les surfaces d'assolement du plateau central de Suisse occidentale présentent le plus grand potentiel de production d'énergie éolienne de Suisse.

D'ici 2050, l'énergie éolienne devrait fournir environ 7% de l'électricité suisse. Selon la stratégie énergétique, cela représente environ 4,3 térawattheures (TWh) par an. À l'heure actuelle, la Suisse est encore loin d'atteindre cet objectif : les quelque 40 éoliennes existantes ne produisent que 0,14 TWh, soit 0,3% de l'électricité du pays.

Les décideurs et décideuses politiques souhaitent désormais accélérer la production d'énergie à partir de l'énergie éolienne. En hiver notamment, lorsque la demande dépasse la production combinée des centrales photovoltaïques et hydroélectriques, l'électricité produite par les éoliennes devrait permettre d'éviter une pénurie. Mais quel est le meilleur endroit pour produire de l'énergie éolienne en Suisse ? Dans les Alpes, sur la plaine du Plateau suisse ou dans les Préalpes et le Jura ?

Une étude menée par une équipe de recherche de l'ETH Zurich sous la direction d'Adrienne Grêt-Regamey, professeure en planification, paysage et systèmes urbains (PLUS), présente pour la première fois différents scénarios de répartition régionale des éoliennes afin d'atteindre le plus efficacement possible l'objectif fixé dans la Stratégie énergétique 2050 de la Suisse.

Pour la première fois, les auteur·es de l'étude ont également pris en compte les zones dans lesquelles la construction d'éoliennes est actuellement interdite. «Si l'on utilisait des terres agricoles particulièrement bonnes, appelées surfaces d'assolement, sur le Plateau suisse venteux pour produire de l'énergie éolienne en plus de la production de denrées alimentaires, il faudrait construire beaucoup moins d'éoliennes dans les Alpes», explique Adrienne Grêt-Regamey.

Environ 760 éoliennes dans le scénario de référence

Le scénario de référence des auteur·es de l'étude est basé sur le concept d'énergie éolienne du gouvernement fédéral suisse, qui définit les zones où l'énergie éolienne peut être exploitée. Il précise, par exemple, qu'aucune éolienne ne doit être construite dans les forêts, sur les surfaces d'assolement ou à proximité de sites patrimoniaux.

Pour produire 4,3 TWh d'énergie éolienne par an dans ce scénario, il faudrait environ 760 éoliennes. Dans leurs calculs, les scientifiques partent du principe qu'il faut construire le moins d'éoliennes possible dans une poignée d'endroits particulièrement venteux.

Comme il n'est ni raisonnable ni techniquement possible de construire les mêmes éoliennes à tous les endroits, l'étude envisage des éoliennes plus petites (100 mètres de haut, 39 mètres de rayon de rotor) pour les Alpes, des éoliennes de taille moyenne (125 mètres de haut, 67 mètres de rayon de rotor) pour les Préalpes et le Jura, et les éoliennes les plus grandes et les plus puissantes (150 mètres de haut, 73 mètres de rayon de rotor) pour la plaine du Plateau suisse. Il faut savoir qu'à pleine capacité, une grande éolienne de la plaine du Plateau suisse produit plus de deux fois plus d'électricité qu'une petite éolienne des Alpes.

Un développement important est nécessaire dans les Alpes

Sur les quelque 760 éoliennes nécessaires, environ 40% seraient situées dans les Alpes grisonnes et pennines. Mais ces quelque 300 petites éoliennes ne produiraient qu'environ 20% de la production annuelle. «Cette solution n'est pas optimale, car les coûts de construction et d'exploitation des éoliennes sont généralement plus élevés en montagne qu'en plaine, et la population suisse est particulièrement troublée à l'idée de voir des éoliennes dans les paysages naturels et intacts des Alpes», explique Adrienne Grêt-Regamey.

Environ la moitié des 4,3 TWh serait produite par quelque 260 des plus grandes éoliennes de la plaine du Plateau suisse, dont 80% sont situées dans les cantons de Berne, Saint-Gall, Lucerne et Fribourg. Les 30% restants de l'énergie éolienne prévue annuellement jusqu'en 2050 seraient couverts par environ 180 éoliennes situées dans les Préalpes, pour la plupart dans les cantons de Berne, Fribourg, Saint-Gall et Appenzell Rhodes-Extérieures.

Sur la base de ces calculs, les chercheuses et chercheurs ont créé une carte montrant la répartition approximative des éoliennes. «Les points doivent être considérés comme des zones d'intérêt national et non comme des emplacements exacts pour les éoliennes», explique Reto Spielhofer, auteur principal de l'étude et chercheur au sein du groupe de recherche d'Adrienne Grêt-Regamey.

Utiliser les zones particulièrement ventées

Dans le cadre du scénario de référence, les scientifiques ont également identifié 36 sites particulièrement adaptés à la production d'énergie éolienne. Sans devoir adapter la politique d'aménagement du territoire, ces sites pourraient couvrir ensemble un peu moins de 5% de la demande annuelle. Neuf de ces sites sont situés dans les cantons des Grisons et du Valais, six à Saint-Gall, cinq à Berne, deux dans chacun des cantons de Vaud et de Fribourg, et un dans le canton d'Uri.

300 turbines de moins dans les zones de rotation des cultures

L'étude des chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich examine également les effets d'un assouplissement des exigences en matière d'aménagement du territoire sur la répartition régionale des éoliennes. Par exemple, dans un scénario, elles et ils supposent que les zones de rotation des cultures peuvent également être utilisées pour l'énergie éolienne. «Nous sommes conscient·es qu'une telle utilisation de ces terres est extrêmement controversée, car il s'agit de très bonnes terres agricoles qui produisent des rendements élevés», explique Adrienne Grêt-Regamey.

Néanmoins, les scientifiques ont voulu montrer les possibilités d'expansion de l'énergie éolienne si les turbines pouvaient également être installées dans les zones de rotation des cultures, en particulier celles où le vent souffle fréquemment et fortement. Par rapport au scénario de référence, il faudrait environ 300 éoliennes de moins dans toute la Suisse pour produire la puissance éolienne prévue de 4,3 TWh par an.

Forte concentration sur le Plateau suisse occidental

«Si l'on assouplit les règles d'aménagement du territoire en ce qui concerne les surfaces d'assolement, il faudrait près de 200 éoliennes de moins dans les Alpes grisonnes et pennines que dans le scénario de référence», explique Adrienne Grêt-Regamey.

Un peu plus de  % seulement de l'objectif annuel de 4,3 TWh d'énergie éolienne devrait être produit dans les Alpes et moins de 1% dans les Préalpes et le Jura. Par ailleurs, plus de 96% de l'énergie éolienne serait produite par les plus grandes éoliennes situées en plaine, et en particulier sur le Plateau suisse occidental. Sur un total d'environ 460 éoliennes dans ce scénario, un peu plus de 40% seraient situées dans le canton de Vaud et environ 13% dans les cantons de Fribourg et de Berne.

«Il y a un compromis entre le nombre d'éoliennes et leur répartition», explique Adrienne Grêt-Regamey. «Si nous voulons avoir le moins d'éoliennes possible - en général et dans les Alpes en particulier - nous devons construire de grandes éoliennes très visibles là où il y a le plus de vent, c'est-à-dire sur le Plateau suisse occidental. En revanche, si nous donnons la priorité à la protection des surfaces d'assolement, nous ne pourrons pas éviter l'expansion dans les Alpes.»

Référence

Spielhofer R, Schwaab J, Grêt-Regamey A. How spatial policies can leverage energy transitions. Finding Pareto-optimal solutions for wind turbine locations with evolutionary multi-objective optimization, Environmental Science & Policy, Volume 142, April 2023, doi: 10.1016/j.envsci.2023.02.016.