Ondes sur des orbites

A la manière des électrons qui passent à travers un conducteur électrique, des excitations magnétiques traversent également certains matériaux. Ces modes d’excitation aussi appelés «magnons» par analogie avec les électrons pourraient beaucoup plus facilement transporter des informations que des conducteurs électriques. Une équipe de recherche internationale vient de faire une découverte importante sur le chemin vers de tels composants nettement plus économes en énergie et significativement plus compacts.
Marc Janoschek devant l’instrument TASP à la source de neutrons de spallation SINQ. (Photo: Institut Paul Scherrer/Mahir Dzambegovic)

Actuellement, la majorité des composants électroniques ont pour fonction de transporter et de contrôler des charges électriques. Un des grands désavantages de cette technique est que le flux électrique, en raison de la résistance électrique, engendre aussi toujours de la chaleur, une gigantesque perte d’énergie compte tenu du nombre colossal de composants électroniques.

Une alternative énergétiquement efficace est d’utiliser des ondes magnétiques pour le transport et le traitement des informations. Elles ne produisent en effet pas autant de chaleur inutile. De tels composants pourraient aussi être nettement plus compacts. C’est pourquoi des scientifiques du monde entier sont à la recherche de matériaux dans lesquels des ondes de spin magnétiques sont utilisées pour le transport d’informations.

Un consortium de recherche international auquel l'Université technique de Munich (TUM) a largement participé,a maintenant franchi un pas important dans cette recherche. Leurs observations concernant des ondes de spin sur des orbites dans certains matériaux magnétiques pourraient aussi constituer une percée pour les technologies quantiques qui ont recours à des ondes pour transporter des informations.

Propagation des ondes magnétiques dans les matériaux

Si l’on jette un caillou dans l’eau, on fait sortir les molécules d’eau de leur position de repos. Elles commencent à osciller et une onde circulaire se forme. On peut de manière tout à fait similaire exciter les moments magnétiques dans certains matériaux pour les faire osciller. Le moment magnétique effectue alors un mouvement circulaire autour de sa position de repos originelle. L’oscillation d’un atome entraîne celle du prochain, et c’est ainsi que l’onde se propage.

Pour parvenir à des applications, il est important de pouvoir contrôler les caractéristiques de ces ondes magnétiques comme leur longueur ou leur direction. Dans les aimants ferreux conventionnels, dans lesquels tous les moments magnétiques affichent la même orientation, les ondes magnétiques se propagent en principe en ligne droite.

La propagation de ces ondes se déroule tout autrement dans une nouvelle classe de matériaux magnétiques qui, à la manière d’un paquet de spaghetti non cuits, sont constitués de vortex ou tourbillons tubulaires étroitement agencés. C’est ce qu’a découvert il y a près de quinze ans une équipe de l’Université technique de Munich autour de Christian Pfleiderer et Peter Böni sur la base d’expériences avec des neutrons.

Compte tenu de leurs propriétés topologiques non triviales et en référence aux développements théoriques du physicien nucléaire britannique Tony Skyrme, ces vortex tubulaires sont appelés skyrmions.

Propagation des ondes magnétiques sur une orbite

Comme les neutrons possèdent eux-mêmes un moment magnétique, ils se prêtent particulièrement bien à la recherche sur des matériaux magnétiques. A la manière de l’aiguille d’une boussole, ils réagissent en effet de manière très sensible aux champs magnétiques. Pour mettre en évidence les ondes de spin sur des orbites, la diffusion neutronique se révèle même incontournable car elle seule a permis la résolution nécessaire sur de très grandes échelles de longueurs et de temps.

Comme l’équipe de Tobias Weber de l’Institut Laue-Langevin à Grenoble en France a pu le montrer au moyen de la diffusion neutronique polarisée, la propagation d’une onde magnétique perpendiculairement à de tels skyrmions ne se produit pas en ligne droite mais sur une orbite circulaire.

Cela tient au fait que la direction des moments magnétiques voisins, et donc l’orientation de l’axe  autour duquel le mouvement circulaire intervient, change constamment. De manière analogue, la direction de la propagation se modifie également continuellement lors de la propagation du mouvement circulaire d’un moment magnétique à un autre perpendiculairement à un vortex tubulaire. Le rayon et l’orientation de l’orbite de la direction de propagation dépendent alors de la force et de la direction de l’inclinaison des moments magnétiques.

Quantification des orbites

«Mais ce n’est pas suffisant, relève Markus Garst de l’Institut de technologie de Karlsruhe, qui a déjà procédé depuis longtemps à la description théorique du mouvement magnétique des ondes et de son couplage avec les neutrons. Il y a une analogie étroite entre la propagation circulaire des ondes de spin dans un réseau de skyrmions et le mouvement d’un électron résultant de la force de Lorenz perpendiculairement à un champ magnétique.»

A très basses températures, lorsque les orbites sont fermées, leur énergie est quantifiée. Prédite il y a près de cent ans par le physicien russe Lev Landau, ce phénomène est connu depuis longtemps pour les électrons sous le nom de quantification de Landau. L’influence de la structure tourbillonnaire sur les ondes de spin est ainsi interprétée avec élégance grâce à un champ magnétique fictif. Cela signifie que l’interaction très complexe des ondes de spin peut en fait être comprise aussi simplement que le mouvement des électrons dans un véritable champ magnétique.

La propagation des ondes de spin perpendiculairement aux skyrmions affiche également une telle quantification des orbites. L’énergie caractéristique des ondes de spin est ainsi aussi quantifiée, ce qui ouvre la voie à des applications totalement nouvelles. L’orbite est par ailleurs entortillée sur elle-même, à la manière d’un ruban de Möbius. Elle est topologiquement non triviale: ce n’est qu’en la coupant et en l’assemblant de nouveau que la torsion peut être éliminée. Tout cela induit un mouvement de l’onde particulièrement stable.

Coopération internationale

«La détermination expérimentale des ondes de spin dans des réseaux de skyrmions exige la combinaison des meilleurs spectromètres neutroniques du monde ainsi qu’un important développement du logiciel pour l’interprétation des données», explique le physicien de la TUM Peter Böni.

L'équipe de recherche a utilisé des instruments de l’Institut Laue-Langevin en France, la source de spallation SINQ à l’Institut Paul Scherrer en Suisse, la source britannique de neutrons et de muons ISIS et la source de neutrons Heinz Maier-Leibnitz (FRM II) de la TUM en Allemagne. D'autres travaux sur la théorie et l'analyse des données ont été réalisés au laboratoire national américain de Los  Alamos et à l’Institut de technologie de Karlsruhe. 

Marc Janoschek, qui travaille maintenant à l’Institut Paul Scherrer, est enthousiaste. «C’est simplement génial de voir qu’avec la preuve microscopique de la quantification de Landau à la ligne de faisceau unique en son genre RESEDA au FRM II de la TUM à Garching, et après d’innombrables expériences avec les meilleurs spectromètres du monde et la clarification de grands défis expérimentaux et théoriques pendant mon séjour à Los Alamos, un cercle se referme, cercle qui a débuté il y a presque quinze ans avec mes premières mesures au Centre Heinz Maier-Leibnitz.»

Le mouvement des ondes de spin sur des orbites, qui sont par ailleurs quantifiées, n’est pas seulement une percée pour la recherche fondamentale. «Le mouvement spontané d’ondes de spin  sur des orbites, dont le rayon et la direction sont engendrés par les structures tourbillonnaires des skyrmions, ouvre de nouvelles perspectives dans la mise au point de composants fonctionnels pour le traitement de l’information dans les technologies quantiques, par exemple des coupleurs simples entre qubits dans des ordinateurs quantiques», fait valoir Christian Pfleiderer, directeur exécutif du nouveau centre d’ingénierie quantique de la TUM.

Texte: rédigé sur la base d’un communiqué de presse de l'Université technique de Munich

Informations supplémentaires

Les mesures ont été effectuées avec la participation de chercheurs de l’Institut Laue-Langevin en France, de l’Institut Paul Scherrer, de l’Université de Zurich et de l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne en Suisse, de la source de spallation ISIS et de l’Université de Londres en Grande-Bretagne, des laboratoires nationaux d’Oak Ridge et de Los Alamos aux Etats-Unis, de l’Université de Dresde , de l’Université de Cologne, de l’Institut de technologie de Karlsruhe, de l’Université technique de Munich et du Centre Heinz Maier-Leibnitz à Garching en Allemagne.

La recherche a été encouragée par le Conseil européen de la recherche par le biais des ERC Advanced Grants «TOPFIT» et «ExQuiSid», par la Communauté allemande de la recherche (DFG) dans le cadre du domaine spécial de recherche Transregio TRR80, du domaine spécial de recherche SFB 1143, du programme prioritaire SPP 2137 «Skyrmionics» et du cluster d’excellence «Munich Center for Quantum Science and Technology» (MCQST) dans le cadre de l’initiative d’excellence de l’Etat fédéral et des Länder allemands ainsi que par le programme de recherche et développement du Laboratoire national de Los Alamos et de l’Institut de science des matériaux de Los Alamos, aux USA.