«Les eaux usées fournissent des données représentatives sur les souches virales»

Niko Beerenwinkel, professeur au département de science et d'ingénierie des biosystèmes de l'ETH Zurich à Bâle, travaille avec des collègues d'autres institutions de recherche pour examiner les eaux usées à la recherche de traces du coronavirus. Il a détecté la variante Delta dans cinq des six stations d'épuration suisses examinées, dont celles de Zurich et de Berne. Il s'est récemment entretenu avec ETH News.
Niko Beerenwinkel. (Photo: ETH Zurich / Pino Covino)

ETH News: Professeur Beerenwinkel, quel est le statut de la variante Delta du coronavirus en Suisse?
Niko Beerenwinkel: Heureusement, de moins en moins de personnes ont été infectées par le coronavirus en Suisse ces dernières semaines. Cependant, la variante Delta représente une proportion croissante des virus en circulation. C'est ce que montrent les données de nos collègues du Département de science et d'ingénierie des biosystèmes, qui ont séquencé le génome viral dans certains des tests PCR effectués en Suisse pour déterminer la souche virale. Les mesures des eaux usées dans lesquelles nous sommes impliqué·es montrent aussi clairement cette augmentation. Nous n'avons pu détecter la variante Delta dans aucun des échantillons prélevés dans les stations d'épuration suisses avant le 20 mai. À l'époque, leur fréquence était inférieure au seuil de détection. Mais maintenant, dans les échantillons les plus récents, analysés jusqu'au 15 juin, nous trouvons le variant Delta présent dans cinq des six stations d'épuration testées. Selon nos estimations, ce variant représentait 33% de toutes les molécules d'ARN de coronavirus détectées à Zurich le 15 juin, et 48% de celles de la région de Berne (Sensetal). Dans les autres stations d'épuration étudiées, la proportion de la souche Delta était plus faible.

Pouvez-vous expliquer brièvement comment vous déterminez les variantes du virus présentes dans les échantillons d'eaux usées?
Les personnes infectées par le coronavirus excrètent l'ARN viral notamment dans leurs selles. Dans les échantillons d'eaux usées, nous ne trouvons généralement que des fragments d'ARN qui ne sont plus infectieux, et aucun virus intact. Des collègues de l'Eawag et de l'EPFL prélèvent actuellement des échantillons quotidiens d'eaux usées dans six stations d'épuration suisses et isolent ces fragments d'ARN. Les collègues du Functional Genomics Center de Zurich séquencent l'ARN, c'est-à-dire qu'il·les déterminent dans quel ordre se trouvent les éléments constitutifs de l'ARN. Nous utilisons ensuite des méthodes bioinformatiques pour analyser les données, ce qui nous permet d'estimer les fréquences des différentes souches virales.

Comme vous l'avez mentionné, en Suisse, les variantes virales sont également déterminées par des tests PCR. Pourquoi avons-nous besoin des analyses des eaux usées?
Les analyses des eaux usées présentent deux avantages majeurs : Premièrement, ces données sont réellement représentatives du bassin versant d'une station d'épuration. En revanche, lorsqu'on examine les variants viraux dans des échantillons prélevés sur des patient·es, il y a toujours un risque que les données soient légèrement biaisées, par exemple parce que tous les individus ne sont pas testés. Deuxièmement, notre méthode est relativement peu coûteuse. Le séquençage d'un petit nombre d'échantillons d'eaux usées nous permet d'obtenir des informations fiables sur le rapport entre les différents variants du virus. Pour obtenir la même précision avec des échantillons de patient·es, il faudrait séquencer un nombre beaucoup plus important d'échantillons.

Les mesures sur les eaux usées présentent-elles des inconvénients?
Les variantes du virus sont parfois difficiles à distinguer dans les eaux usées, notamment lorsqu'une variante présente peu de mutations caractéristiques ou lorsque plusieurs variantes partagent ces mutations. Il est également difficile de calculer le nombre absolu d'individus infectés à partir des mesures des eaux usées, car des facteurs environnementaux tels que les précipitations affectent la concentration des molécules d'ARN de coronavirus dans les eaux usées. Les molécules sont fortement diluées dans les eaux usées. Si le nombre de cas diminue encore en été, la détection du virus dans les eaux usées ne fonctionnera probablement plus à un moment donné. Toutefois, à partir d'un certain niveau d'incidence du virus, les mesures dans les eaux usées sont idéales pour calculer le rapport entre les différentes souches virales à un moment donné et pour observer l'évolution de ce rapport dans le temps. C'est ce qui nous intéresse le plus.

Pourquoi ces données sont-elles intéressantes?
L'évolution de ce ratio nous permet de calculer si une nouvelle variante est plus facilement transmissible qu'une ancienne, et si oui, dans quelle mesure. Comme les données sur les eaux usées représentent la moyenne d'un grand nombre de personnes, les calculs effectués à l'aide de ces données sont plus précis et présentent moins d'incertitude. Cela signifie que nous pouvons prédire à un stade précoce si une nouvelle variante doit être classée comme préoccupante ou non.

Vous publiez vos résultats sur votre site web. Les dernières données disponibles datent du 15 juin, soit il y a deux semaines. Existe-t-il unmoyen d'effectuer l'analyse plus rapidement?
Les autres scientifiques impliqué·es et nous-mêmes avons commencé ce projet comme un projet de recherche. Notre objectif était de montrer que ce type de mesures était possible. Nous souhaitons maintenant publier les données deux semaines après l'échantillonnage. Toutefois, cela ne fonctionnera que si toutes les analyses de biologie moléculaire et de bioinformatique sont exemptes d'erreurs et réussissent du premier coup. Si, par exemple, les autorités souhaitaient utiliser ces mesures comme un système d'alerte précoce à l'avenir - en d'autres termes, obtenir des informations sur les variantes émergentes encore plus rapidement et régulièrement - nous devrions alors revoir l'infrastructure, qui est actuellement axée sur la recherche, et l'adapter à cet objectif. Bien que cela soit certainement possible, cela dépasse le cadre de nos activités de recherche.

À propos de

Niko Beerenwinkel est professeur de biologie computationnelle au département de science et d'ingénierie des biosystèmes de l'ETH Zurich à Bâle. Ses recherches à l'interface de l'informatique, des statistiques et de la biologie comprennent le développement de méthodes d'analyse de données complexes de séquençage d'ADN et d'ARN provenant de virus et de tumeurs.