Une diversité sous-estimée des substances toxiques produites par les cyanobactéries

Seules quatre substances produites par les cyanobactéries sont répertoriées dans les directives de l’OMS. C’est une part infime de tous les produits métaboliques susceptibles d’avoir des effets négatifs au niveau écotoxicologique.
Prélèvement d'échantillons sur un lac. (Photo: ETH Board, Daniel Kellenberger)

Elles ont plus de trois milliards d’années. Ce sont les premiers êtres vivants sur Terre à avoir utilisé la lumière du soleil comme source d’énergie, et donc à avoir quasiment inventé la photosynthèse. «Les cyanobactéries survivent aussi dans les cours d’eau pauvres en nutriments et sont présentes partout dans le monde», explique Elisabeth Janssen, responsable de groupe de recherche au département Chimie de l’environnement de l’Institut de recherche sur l’eau Eawag.

Un incident tragique

La science sait depuis longtemps que ces êtres minuscules, appelés aussi algues bleues, produisent des substances toxiques. Depuis près de vingt ans, l’intérêt politico-sociétal pour les cyanobactéries se renforce. Lorsqu’elles se reproduisent brusquement dans un cours d’eau, comme l’algue sang des Bourguignons (Planktothrix rubescens) et produisent une efflorescence, il est absolument déconseillé de se baigner. Et les chiens qui boivent de l’eau trouble contenant certaines cyanobactéries peuvent même en mourir.

Jusqu’à présent, les toxicologues ont concentré leur attention sur une classe précise de toxines appelées microcystines. «C’est à cause d’un incident tragique particulièrement grave survenu en 1996 dans la ville brésilienne de Caruaru», écrivent les chercheuses et chercheurs qui travaillent avec Elisabeth Janssen dans un article qui vient de paraître. Cette année-là, l’approvisionnement en eau local a fait défaut et on a acheminé par camion de l’eau puisée dans un réservoir à proximité pour l’hôpital. On s’est alors rendu compte que cette eau contenait des microcystines après le décès de 60 patients et patientes en dialyse.

Une palette entière de produits métaboliques

À la suite de cette tragédie, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) a promulgué des directives concernant les microcystines. En 2021, trois autres substances toxiques produites par les cyanobactéries ont été ajoutées. Mais cela ne réglemente qu’une partie infime des substances car, comme le précise Elisabeth Janssen: «Les cyanobactéries produisent toute une palette de métabolites secondaires.» Les risques écotoxicologiques de cette diversité de substances sont encore largement méconnus. Désormais, les résultats d’essais réalisés sur les larves de poissons zèbres par l’équipe de Mmes Janssen et Colette vom Berg apportent un peu plus de clarté.

«Nous avons utilisé des extraits de cellules de deux souches de cyanobactéries différentes du genre Microcystis provenant du Brésil», explique Mariana de Almeida Torres, autrice principale de la publication scientifique et boursière du programme de partenariat de l’Eawag avec les pays en développement (cf. encadré). Une souche a été isolée dans une réserve naturelle de la forêt tropicale d’Amazonie. Elle produit des microcystines, contrairement à l’autre souche isolée dans une station d’épuration de Rio de Janeiro.

Œdèmes cardiaques

La souche produisant des microcystines s’avère effectivement deux fois plus toxique. Un demi-microgramme de biomasse extraite de cyanobactéries par millimètre suffit à tuer la moitié des larves de poissons zèbres en une journée. «On en trouve aussi une telle concentration pendant la multiplication massive de cyanobactéries, ce que l’on appelle les efflorescences», explique Elisabeth Janssen. Bien que l’autre souche ne contienne aucune des substances nocives mentionnées dans les directives de l’OMS, ces cyanobactéries étaient néanmoins elles aussi toxiques: elles ont provoqué la mort de la moitié des larves de poissons zèbres à une concentration d’un microgramme de biomasse par millimètre. En répartissant les extraits en différentes fractions chimiques, les chercheuses et chercheurs ont constaté que de nombreuses substances apportaient leur contribution à la toxicité. Et si elles ne provoquaient pas immédiatement la mort des larves, elles perturbaient gravement leur développement, en causant notamment des œdèmes cardiaques.

Tout comme les microcystines, ces autres classes de toxines portent des noms exotiques. Elles se nomment cyanopeptolines, nostoginines, microginines ou encore micropeptines et appartiennent toutes à l’univers chimique des produits métaboliques de cyanobactéries que la science commence seulement à découvrir. «Nous avons saisi jusqu’à présent plus de 2400 substances dans une banque de données consultable par le public», précise Elisabeth Janssen, qui coordonne le projet CyanoMetDB. «Et 100 nouvelles entrées sont ajoutées chaque année.»

La problématique s’intensifie avec le réchauffement climatique

Mais pourquoi les cyanobactéries produisent-elles des substances toxiques? «Elles doivent bien en tirer un avantage ou un autre, car la production de ces substances leur coûte beaucoup d’énergie», explique Elisabeth Janssen. La nature de cet avantage n’est toutefois pas encore expliquée, même s’il existe de nombreuses théories à ce sujet. Par exemple, ces êtres minuscules utiliseraient ces substances comme des molécules de signalisation pour communiquer chimiquement entre elles. Ou bien elles leur serviraient à se protéger des prédateurs.

Quoi qu’il en soit, le sujet va gagner en importance à l’avenir. En effet, les efflorescences de cyanobactéries deviendront probablement plus fréquentes à cause du réchauffement climatique. C’est la raison pour laquelle Elisabeth Janssen tient à sensibiliser davantage à cette problématique. À cela s’ajoute un autre facteur pour la chimiste de l’environnement: «Comparées à celles produites par l’industrie, les substances toxiques des cyanobactéries sont plus difficiles à contenir. En effet, ce sont des produits métaboliques d’organismes vivants; ils s’accumulent lorsque ceux-ci se reproduisent et on ne peut pas arrêter la source si facilement.»

Programme de partenariat de l’Eawag

Le programme de partenariat de l’Eawag (EPP) vise à renforcer la capacité scientifique dans les pays aux infrastructures limitées. Il offre aux doctorantes et doctorants qui travaillent sur des sujets environnementaux comme la pénurie d’eau, la pollution de l’environnement ou la perte de biodiversité l’opportunité de se former scientifiquement et d’échanger lors d’un court séjour de recherche à l’Eawag.

Mariana de Almeida Torres, boursière EPP, a intégré les groupes de recherche d’Elisabeth Janssen et de Colette vom Berg de janvier à juillet 2021. Les scientifiques ont maintenu leur collaboration après sa bourse et ont organisé l’année suivante un autre séjour de six mois. Les travaux de Mariana de Almeida Torres étaient à l’interface entre chimie de l’environnement et toxicologie. Elle témoigne: «C’était une expérience très enrichissante et précieuse! Mon séjour à l’Eawag a changé ma vie, au niveau professionnel mais aussi personnel.» Ses deux responsables partagent son enthousiasme: «Cette collaboration a été pour nous un énorme bénéfice, et un véritable succès», confie Elisabeth Janssen.