Une étude révèle la mécanique du nœud chirurgical parfait

Des scientifiques de l’EPFL ont publié une première étude sur la mécanique des nœuds chirurgicaux. Les résultats pourraient servir à former les chirurgiennes et chirurgiens à la réalisation de sutures plus solides et plus sûres – une compétence dont la maîtrise nécessite généralement des années de pratique.
Nœud chirurgical réalisé sur un support rigide © Alain Herzog

Pensez à la dernière fois que vous avez fait vos lacets: vous les avez peut-être bien serrés ou vous avez fait plusieurs nœuds pour vous assurer qu’ils ne se défassent pas. Vous avez probablement fait appel à votre intuition pour savoir quelle tension exercer pour empêcher les lacets de se défaire, sans tirer trop fort pour les casser.

Cela peut surprendre, mais les chirurgiennes et chirurgiens adoptent également une approche intuitive pour la réalisation des sutures. Bien que les nœuds simples carrés et coulants soient souvent utilisés en chirurgie, il faut des années pour les maîtriser afin qu’ils restent en place sans se desserrer ou se rompre. La topologie et la géométrie des nœuds ont fait l’objet de nombreuses recherches mathématiques, mais on sait peu de choses sur la mécanique des nœuds dans le contexte de variables physiques, comme les propriétés matérielles des filaments noués.

«Il est étonnant de se dire que nous comptons sur les nœuds, alors que nous ne comprenons pas vraiment comment ils fonctionnent», explique Pedro Reis, responsable du Laboratoire des structures flexibles de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur (Institut de génie mécanique). Pedro Reis et le doctorant Paul Johanns se sont associés avec la chirurgienne plasticienne Samia Guerid basée à Lausanne pour mener une première étude de la physique – récemment publiée dans Science Advances – sur la mécanique des nœuds chirurgicaux et les propriétés exactes qui influencent leur résistance.

«Comprendre la mécanique des nœuds chirurgicaux peut attirer l’attention des chirurgiennes et chirurgiens expérimentés, être intégrée dans les programmes de formation et faire progresser la chirurgie robotique en permettant des capacités de nouage plus efficaces», indique Samia Guerid. «Ces connaissances pourraient également influencer le développement de matériaux de suture qui améliorent la résistance au glissement dans les nœuds coulants.»

La pouvoir de la plasticité

Passionné d’escalade, Pedro Reis s’intéresse personnellement au nouage de nœuds sûrs et a déjà réalisé plusieurs études sur la mécanique des nœuds. Il explique que de la plupart des nœuds peuvent être décrits comme des structures libres qui fournissent une force de maintien, leur fonctionnalité étant dictée par les variables de la topologie, de la géométrie, de l’élasticité, du contact et de la friction. Mais pour l’étude des nœuds chirurgicaux, Pedro Reis et ses collègues ont pris en compte un sixième facteur clé: la plasticité du polymère du filament de suture.

La résistance des sutures en filaments de polypropylène utilisées en chirurgie dépend de la tension exercée lors de la réalisation du nœud (prétension). Cette prétension déforme ou étire le filament de façon permanente, créant ainsi une force de maintien. Une tension insuffisante fait se défaire le nœud, une tension excessive casse le filament.

L’équipe a analysé 50 à 100 nœuds réalisés par Samia Guerid et a constaté que la chirurgienne était capable, grâce à ses années d’expérience, de cibler le point idéal de prétension de manière intuitive. À l’aide d’expériences de précision, de la tomographie par micro-ordinateur à rayons X et de simulations informatiques, les scientifiques ont défini un seuil entre les nœuds «lâches» et «serrés» et ont découvert des liens entre la résistance et la prétension des nœuds, la friction et le nombre de tours.

«De manière surprenante, malgré l’interaction complexe entre les six facteurs, nous avons observé un comportement émergent simple et solide vis-à-vis de la résistance des nœuds. Mais nous ne disposons toujours pas d’un modèle prédictif permettant d’expliquer pleinement le lien entre la prétension et la résistance des nœuds, qui semble cohérente, même en dehors des nœuds chirurgicaux. Nous réfléchissons déjà à cette question.»

Un outil de formation pour les chirurgiennes et chirurgiens... et les robots

Les conclusions de l’équipe pourraient constituer une aide précieuse pour la formation des chirurgiennes et chirurgiens, car elles permettraient de définir des directives pratiques à partir des paramètres d’un nœud sûr. Même si l’expérience reste importante, l’idée est d’enseigner le nouage sûr à l’aide de modèles prédictifs, plutôt que d’avoir recours à l’intuition acquise seulement après des années de pratique.

«Nos données nous permettent de déterminer la prétension idéale et le nombre de tours, par exemple, selon le type de filament utilisé», déclare Pedro Reis.

«L’absence d’analyse basée sur la physique a été une limite», affirme Samia Guerid. «Des données quantifiables sur la mécanique des nœuds pourraient être intégrées aux programmes de formation afin d’évaluer la résistance à la traction de chaque nœud et de garantir que les stagiaires acquièrent les compétences nécessaires à la réussite des interventions chirurgicales. Ces données pourraient également favoriser le développement de la chirurgie robotique au moyen de la programmation de systèmes robotiques.»