Les rivages boisés sont favorables aux microorganismes sensibles

La forêt est déterminante pour la vie des ruisseaux, surtout dans leur bassin versant et leur cours supérieur. Cet effet est particulièrement important pour les espèces sensibles.
Dans les zones boisées, beaucoup de feuilles tombent dans les ruisseaux, d’en-haut et de tous les côtés – avec des effets positifs pour les microorganismes invertébrés des cours d'eau. (Photo: iStockphoto / Mike Pellinni)

Une quantité importante de feuillage tombe en automne sur le sol de la forêt mais aussi dans les cours d’eau. Et comme le sol de la forêt, les ruisseaux abritent des microorganismes invertébrés qui se nourrissent de feuilles et d’autres matières organiques, les décomposent ou y trouvent refuge. Parmi eux les amphipodes et les insectes. Au côté des microorganismes, comme les bactéries et les champignons, ils jouent non seulement un rôle clé dans le processus de décomposition, mais sont aussi une source importante de nourriture pour les poissons. Les espèces les plus sensibles de l’ordre des plécoptères, des tricoptères et des éphéméroptères, ne sont présentes que dans les écosystèmes intacts des ruisseaux capables de remplir leurs fonctions naturelles.

Quel est le rôle de la végétation du rivage pour les ruisseaux?

Il semble logique de rencontrer davantage de vie là où beaucoup de feuillage et d’autres matières organiques tombent dans un ruisseau. «Mais dans les faits, peu de recherches ont été réalisées sur l’influence de la végétation du rivage sur les biocénoses dans les différentes sections d’un ruisseau», déclare Rebecca Oester, doctorante à l’Institut de recherche de l’eau Eawag. Cela fait-il une différence que le ruisseau coule dans une forêt ou dans un pré? Si oui, comment la présence et la diversité des microorganismes invertébrés, ainsi que la vitesse à laquelle se décomposent les feuilles se modifient-elles? Ces questions, l’écologue aquatique Rebecca Oester les a approfondies pour son doctorat dans le cadre d’un projet inter-institutionnel dirigé par Andreas Bruder, responsable de groupe à la Haute école spécialisée de la Suisse du sud SUPSI, et Florian Altermatt, professeur d’écologie aquatique à l’Eawag et à l’Université de Zurich.

Comptage et détermination de 22’000 microorganismes

Rebecca Oester a étudié de près huit cours d’eau, quatre au lac de Constance et quatre au Tessin, pendant la phase la plus active de décomposition du feuillage par les microorganismes, soit de décembre à janvier. Il s’agit de tout petits ruisseaux de faible largeur avec un petit bassin versant. «Les très petits ruisseaux représentent la majorité du kilométrage des cours d’eau en Suisse, ils constituent par conséquent un habitat important pour de nombreux êtres vivants. C’est pourquoi ils sont d’un grand intérêt d'un point de vue de l’écologie aquatique», explique R. Oester. Elle a sélectionné une section boisée et une non boisée pour chaque ruisseau où elle a déposé ses pièges dans l’eau: des filets à larges pores remplis de feuilles mortes dans lesquels les microorganismes invertébrés peuvent se faufiler. Les filets sont restés dans l’eau jusqu’à ce qu’environ la moitié des feuilles mortes soit décomposée. Une fois les pièges relevés, R. Oester en a analysé le contenu en laboratoire pour déterminer le nombre d’animaux, la biomasse et les espèces. Elle a minutieusement observé chacun de ces animaux au microscope – soit 22'000 au total.

Les espèces sensibles plus fréquentes dans les sections boisées

«J’ai trouvé des centaines d’exemplaires des espèces les plus variées dans certains échantillons. C’est surprenant de voir la vie que peut abriter une poignée de feuilles mortes», s’étonne Rebecca Oester. Elle a également été surprise de trouver de nombreux animaux dans ses échantillons qui ne se nourrissent pas directement de feuilles mortes, comme les acariens aquatiques. Elle l’explique comme suit: «La végétation forestière du rivage est non seulement vitale pour les espèces qui se nourrissent de feuilles mortes, mais aussi pour celles qui y trouvent refuge ou y chassent d’autres petits animaux.» Après avoir compté et déterminé les espèces, un modèle prit forme: Les espèces sensibles et spécialisées dans la décomposition des feuilles étaient plus diversifiées et présentes en plus grand nombre dans les échantillons des sections boisées, et la différence entre les ruisseaux du lac de Constance plus prononcée que dans ceux du Tessin. «Chez les espèces sensibles, la végétation du rivage semble exercer un effet particulièrement marqué», déclare Rebecca Oester.

Comme supposé, les différences dans la végétation du rivage ont aussi une incidence sur le taux de décomposition des feuilles mortes: sur les huit ruisseaux observés, les feuilles des échantillons provenant de sections boisées sont décomposées trois fois plus vite. «Nous n’avions pas compté avec une telle différence», déclare R. Oester. «Les êtres vivants se nourrissant de feuilles mortes étaient donc plus nombreux, mais probablement aussi plus actifs, dans les sections de ruisseaux boisées.»

La forêt est bénéfique aux ruisseaux

Les résultats étayent l’importance de la forêt pour la biocénose des ruisseaux. Rebecca Oester précise: «La forêt est particulièrement importante dans le bassin versant et le cours supérieur. En effet, les feuilles mortes qui tombent dans les cours d’eau à ces endroits fournissent en matière organique et en nutriments également les sections non boisées du ruisseau en aval.» Préserver la forêt sur le rivage est donc bénéfique pour les ruisseaux et la végétation tout autour doit être prise en compte pour les projets de renaturalisation. Néanmoins: «Une rangée d’arbres à gauche et à droite le long d'un ruisseau ne remplace pas une forêt – dans la forêt la quantité de feuilles mortes est nettement plus importante», explique R. Oester.

La végétation du rivage est un facteur important pour la renaturalisation des ruisseaux

Quelques questions restent encore sans réponse: Pourquoi les différences entre les ruisseaux du Tessin sont-elles moins prononcées? Quel rôle jouent les différentes associations forestières? La végétation du rivage exerce-t-elle un effet comparable sur les microorganismes? C’est cette dernière question que Rebecca Oester étudie en détail dans son prochain projet sur les champignons aquatiques dans les sections boisées et non boisées. Il y a encore beaucoup de recherche requise, déclare aussi Andreas Bruder de la SUPSI: «Si nous voulons réellement protéger et renaturaliser les ruisseaux, nous devons mieux comprendre l’influence de la végétation de rivage sur les différents groupes d’espèces au sein de l’écosystème et sur la chaîne alimentaire vue comme un tout.» Et le prof. Florian Altermatt ajoute: «Ce travail montre une fois de plus à quel point milieux terrestres et aquatiques sont étroitement liés et l’importance de considérer ces systèmes en association.»