Origine de la vie : comment les microbes ont jeté les bases des cellules complexes

Qui étaient nos premiers ancêtres ? La réponse pourrait se trouver dans un groupe particulier d'organismes unicellulaires dotés d'un cytosquelette similaire à celui des organismes complexes, tels que les animaux et les plantes. C'est ce qu'ont découvert des scientifiques de l'ETH Zurich dans une nouvelle étude.
Représentation artistique d'un archéon d'Asgard, basée sur des données de cryo-tomographie électronique : le corps cellulaire et les appendices présentent des structures squelettiques filiformes, similaires à celles trouvées dans les cellules complexes dotées d'un noyau. (Graphique : Margot Riggi, Institut Max Planck de biochimie)

En bref

  • Les archées d'Asgard sont un groupe de micro-organismes découverts il y a tout juste dix ans. Ils représentent un lien entre les bactéries, les archées et les organismes complexes, tels que les plantes et les animaux.
  • Les scientifiques de l'ETH Zurich ont maintenant examiné en détail l'un de ces microbes, Lokiarchaeum ossiferum, et ont découvert des protéines du cytosquelette très semblables à celles que l'on trouve dans les organismes complexes.
  • Il apparaît donc de plus en plus clairement que les archées d'Asgard sont les ancêtres de l'être humain, des animaux et des plantes.

Il y a dix ans, personne ne connaissait l'existence même des archées d'Asgard. En 2015, cependant, des chercheuses et chercheurs examinant des sédiments en eaux profondes ont découvert des fragments de gènes indiquant une nouvelle forme de microbes qui n'avait pas encore été découverte.

Avec l'aide d'un ordinateur, ils et elles ont assemblé ces fragments comme des pièces de puzzle pour compiler l'ensemble du génome. Ce n'est qu'à ce moment-là qu'elles et ils ont réalisé avoir affaire à un groupe d'archées inconnu jusqu'alors.

Comme les bactéries, les archées sont des organismes unicellulaires. Cependant, sur le plan génétique, il existe des différences significatives entre les deux domaines, notamment en ce qui concerne l'enveloppe cellulaire et les processus métaboliques.

Après une recherche approfondie, les microbiologistes ont identifié les organismes correspondants, les ont décrits et les ont classés dans un sous-groupe d'archées distinct : Les archées d'Asgard. Leur nom, tiré du royaume céleste de la mythologie nordique, fait référence à leur découverte initiale près du château de Loki - un fumoir noir sur la crête médio-atlantique entre la Norvège et le Svalbard.

En fait, les archées d'Asgard sont apparues presque comme un don du ciel pour la recherche : elles se sont révélées être le chaînon manquant entre les archées et les eucaryotes, c'est-à-dire entre les archées et les organismes dont les cellules contiennent un noyau, tels que les plantes et les animaux.

Arbre de vie avec une branche en moins

Ces dernières années, les scientifiques ont trouvé de plus en plus d'indications de liens étroits entre les archées d'Asgard et les eucaryotes, et que ces derniers pourraient avoir évolué à partir des premières. La division de tous les organismes vivants en trois domaines, à savoir les bactéries, les archées et les eucaryotes, n'a pas résisté à cette découverte surprenante.

Certains et certaines scientifiques ont depuis proposé de considérer les eucaryotes comme un groupe au sein des archées d'Asgard. Cela réduirait le nombre de domaines de la vie de trois à deux : les archées, y compris les eucaryotes, et les bactéries.

À l'ETH Zurich, le professeur Martin Pilhofer et son équipe sont fascinés par les archées d'Asgard et étudient ces mystérieux microbes depuis plusieurs années.

Dans un article publié dans Nature il y a deux ans, les scientifques de l'ETH Zurich ont exploré les détails de la structure et de l'architecture cellulaires de Lokiarchaeum ossiferum. Issu des sédiments d'un canal d'eau saumâtre en Slovénie, cette archée d'Asgard a été isolée par des chercheurs et chercheuses du laboratoire de Christa Schleper à l'Université de Vienne.

Dans cette étude, Martin Pilhofer et ses chercheurs postdoctoraux Jingwei Xu et Florian Wollweber ont démontré que Lokiarchaeum ossiferum possède certaines structures également typiques des eucaryotes. «Nous avons trouvé chez cette espèce une protéine d'actine qui semble très similaire à celle que l'on trouve chez les eucaryotes et que l'on retrouve dans presque toutes les archées d'Asgard découvertes à ce jour», explique Martin Pilhofer.

Dans la première étude, les scientifqiques ont combiné différentes techniques de microscopie pour démontrer que cette protéine - appelée Lokiactin- forme des structures filamenteuses, en particulier dans les nombreuses protubérances en forme de tentacules des microbes. «Elles semblent constituer le squelette de l'architecture cellulaire complexe des archées d'Asgard», ajoute Florian Wollweber.

Outre les filaments d'actine, les eucaryotes possèdent également des microtubules. Ces structures en forme de tube sont le deuxième élément clé du cytosquelette et sont constituées de nombreuses protéines de tubuline. Ces minuscules tubes sont importants pour les processus de transport à l'intérieur d'une cellule et pour la ségrégation des chromosomes lors de la division cellulaire

L'origine de ces microtubules n'était pas claire jusqu'à présent. Dans un article récemment publié dans Cell, les scientifiques de l'ETH Zurich ont découvert des structures apparentées dans les archées d'Asgard et décrivent leur structure. Ces expériences montrent que les tubulines asgardiennes forment des microtubules très similaires, bien que plus petits que ceux de leurs parents eucaryotes.

Cependant, seules quelques cellules de Lokiarchaeum forment ces microtubules. Et, contrairement à l'actine, ces protéines tubulines n'apparaissent que dans très peu d'espèces d'archées asgardiennes.

Les scientifiques ne comprennent pas encore pourquoi les tubulines apparaissent si rarement chez les Lokiarchaea, ni pourquoi les cellules en ont besoin. Chez les eucaryotes, les microtubules sont responsables des processus de transport au sein de la cellule. Dans certains cas, des protéines motrices «marchent» le long de ces tubes. Les chercheurs et chercheuses de l'ETH Zurich n'ont pas encore observé de telles protéines motrices chez les archées d'Asgard.

«Nous avons cependant montré que les tubes formés par ces tubulines se développent à une extrémité. Nous pensons donc qu'ils remplissent des fonctions detransport similaires à celles des microtubules chez les eucaryotes», explique Jingwei Xu, coauteur de l'étude Cell. Il a produit les tubulines dans une culture cellulaire avec des cellules d'insectes et a examiné leur structure.

Des chercheuses et chercheurs en microbiologie, biochimie, biologie cellulaire et biologie structurale ont collaboré étroitement à l'étude. «Nous n'aurions jamais progressé aussi loin sans cette approche interdisciplinaire», souligne Martin Pilhofer avec une certaine fierté.

Le cytosquelette était-il essentiel au développement de la vie complexe ? Bien que certaines questions restent sans réponse, les chercheurs sont convaincus que le cytosquelette a constitué une étape importante dans l'évolution des eucaryotes.

Cette étape pourrait avoir eu lieu il y a des lustres, lorsqu'une archée d'Asgard a enlacé une bactérie avec ses appendices. Au cours de l'évolution, cette bactérie s'est transformée en mitochondrie, qui est le moteur des cellules modernes. Au fil du temps, le noyau et d'autres compartiments ont évolué et la cellule eucaryote est née.

«Ce remarquable cytosquelette était probablement au début de ce développement. Il aurait pu permettre aux archées d'Asgard de former des appendices, leur permettant ainsi d'interagir avec une bactérie, puis de la saisir et de l'engloutir», explique Martin Pilhofer.

La pêche aux archées d'Asgard

Pilhofer et ses collègues prévoient maintenant de s'intéresser à la fonction des filaments d'actine et de la tubuline archéenne, ainsi qu'aux microtubules qui en résultent.

Ils et elles souhaitent également identifier les protéines que les scientifiques ont découvertes à la surface de ces microbes. Martin Pilhofer espère que son équipe sera en mesure de développer des anticorps précisément adaptés à ces protéines. Cela permettrait aux chercheuses et chercheurs de «pêcher» spécifiquement les archées d'Asgard dans des cultures mixtes de microbes.

«Nous avons encore beaucoup de questions sans réponse sur les archées d'Asgard, notamment en ce qui concerne leur relation avec les eucaryotes et leur biologie cellulaire inhabituelle», déclare Martin Pilhofer. «Il est fascinant de découvrir les secrets de ces microbes.»