Un anticancéreux agit comme soutien épigénétique à la mémoire

Des scientifiques de l’EPFL ont découvert qu’une molécule anticancéreuse peut également améliorer la mémoire. Elle aide la cellule à lire des gènes impliqués dans l’apprentissage. Le mécanisme épigénétique est démontré chez la souris.
© iStock / Jacky Niam

Si vous avez peur des araignées, vous profiterez peut-être bientôt d’un médicament pour stimuler votre capacité à désapprendre votre arachnophobie. Sans effets secondaires.

Les inhibiteurs d’histone désacétylase (HDACis, pour Histone deacetylase inhibitors) sont des composés chimiques couramment utilisés comme adjuvant pour des chimiothérapies anticancéreuses. Ils potentialisent l’efficacité du traitement. On a également exploité les HDACis dans des modèles animaux en tant que stimulants cognitifs en psychiatrie et neurologie. Ces composés sont connus pour améliorer la mémoire des animaux, sans effets secondaires manifestes. Un fait qui a suscité la perplexité des scientifiques, étant donné que le traitement est administré de manière systémique.

Les scientifiques de l’EPFL ont découvert que les HDACis agissent comme des soutiens épigénétiques de la mémoire. En d’autres termes, ils stimulent la faculté des cellules à lire les gènes impliqués dans la plasticité synaptique, ce qui améliore la communication entre neurones. Les résultats sont publiés dans PNAS.

«Le médicament soutient des gènes très spécifiques, ceux-là mêmes qui sont déjà impliqués dans l’apprentissage, explique Johannes Gräff, auteur principal de l’étude. Il n’affecte pas les autres gènes, ce qui pourrait provoquer des effets secondaires indésirables. C’est ce que l’on appelle du priming épigénétique.»

Johannes Gräff, dont le laboratoire au Brain Mind Institude de l’EPFL est dédié à l’étude des mécanismes épigénétiques associés à la capacité et au déclin mémoriel, s’est tourné vers les souris pour investiguer les HDACis. Avec son équipe, il a exposé les rongeurs à des décharges électriques — un test de mémoire associative connu sous le nom de paradigme de conditionnement pavlovien (peur). Sans la molécule, les souris apprennent très peu. Avec, elles doublent leurs capacités mémorielles. L’expérience a été validée par les autorités vétérinaires avec un degré 2 de sévérité.

«Le médicament soutient des gènes très spécifiques, ceux-là mêmes qui sont déjà impliqués dans l’apprentissage.»      Johannes Gräff, auteur principal de l’étude

«Le traitement n’améliore la mémoire qu’en présence d’un processus d’apprentissage actif, poursuit Johannes Gräff. Elle ne stimule que les gènes qui sont déjà en activité pour apprendre. Par analogie, je dirais que c’est plus facile d’accélérer si vous êtes déjà en train de skier qu’à l’arrêt.»

En outre, Gräff et son équipe ont découvert que le médicament agit directement sur l'épigénome en induisant des modifications épigénétiques qui favorisent l'apprentissage. La chromatine, un complexe d'ADN et de protéines qui conditionne principalement les longues molécules d'ADN en structures plus compactes, doit être accessible pour que la transcription des gènes de plasticité synaptique puisse se produire. En effet, en utilisant des technologies de séquençage avancées, les scientifiques ont pu observer que l'accessibilité de la chromatine était renforcée au niveau de gènes spécifiques importants pour la communication synaptique.

Ces résultats sont importants car plusieurs HDACis sont déjà approuvés pour le traitement du cancer chez les patients, ce qui signifie qu'ils sont sûrs à administrer chez l'homme. Ils peuvent maintenant être réorientés vers des essais cliniques chez l'homme afin d'améliorer la mémoire. Deux essais cliniques sont actuellement en cours en Europe, l'un visant à favoriser le désapprentissage de la peur des araignées, l'autre à améliorer la mémoire des patients atteints de la maladie d'Alzheimer.