Le Vésuve fait-il une sieste prolongée ?

Situé près de Naples, en Italie, le Vésuve a connu sa dernière éruption violente en 1944, vers la fin de la Seconde Guerre mondiale. Il faudra peut-être attendre quelques centaines d'années avant qu'une nouvelle éruption explosive et dangereuse ne se produise, selon une nouvelle étude réalisée par des expertes et experts en volcanologie de l'ETH Zurich.
Pompéi a été détruite en 79 après J.-C. lors d'une éruption massive du Vésuve. (Photo: Jörn-Frederik Wotzlaw)

Le Vésuve est l'un des volcans les plus dangereux d'Europe. Plus de trois millions de personnes vivent dans ses environs immédiats et, au cours de l'histoire et de la préhistoire, des éruptions explosives ont détruit des agglomérations et des villes entières dans la région.

La question qui se pose est donc la suivante: quand le Vésuve entrera-t-il à nouveau en éruption et quelle sera l'intensité de cette éruption?

Pour répondre à cette question, un groupe de recherche de l'ETH Zurich, en collaboration avec des chercheuses et chercheurs italiens, a examiné de près les quatre plus grandes éruptions du Vésuve au cours des 10'000 dernières années, afin de mieux évaluer si un événement dangereux peut être attendu dans un avenir proche.

Les quatre éruptions étudiées comprennent l'éruption d'Avellino, il y a 3950 ans, qui est considérée comme un des pires scénarios possibles pour les éruptions futures, et l'éruption de 79 après J.-C. qui a enseveli les villes romaines de Pompéi et Herculanum. Cette dernière a été documentée par l'écrivain romain Pline le Jeune, et toutes les éruptions de ce type sont donc appelées éruptions pliniennes.Les volcanologues ont également étudié l'éruption de Mercato, qui s'est produite il y a 8890 ans, et l'éruption de Pollena, qui date de 472 après JC. Cette dernière est la plus petite des éruptions étudiées, mais sa taille reste similaire à celle de la récente éruption de Tonga.

Les grenats permettent une datation précise

Dans leur étude, qui vient d'être publiée dans la revue Science Advances, les chercheuses et chercheurs travaillant avec l'auteur principal Jörn-Frederik Wotzlaw et le professeur Olivier Bachmann de l'ETH Zurich ont déterminé l'âge des cristaux de grenat présents dans les dépôts volcaniques. Ce minéral se développe à partir du magma lorsqu'il est stocké dans la chambre magmatique de la croûte supérieure sous le Vésuve. Connaître l'âge de ces minéraux permet de déduire combien de temps le magma a résidé dans cette chambre avant que le volcan ne le crache.

Le grenat est un choix inhabituel pour déterminer l'âge des éjectas volcaniques. Les volcanologues utilisent généralement des zircons, qui sont de minuscules minéraux accessoires présents dans de nombreuses roches ignées. Le magma du Vésuve est toutefois trop alcalin pour cristalliser les zircons, mais il est riche en grenat.

Pour déterminer l'âge des grenats, les chercheuses et chercheurs ont utilisé les éléments radioactifs uranium et thorium. La structure cristalline du grenat incorpore ces deux éléments en quantités faibles mais mesurables, avec une préférence pour l'uranium. En utilisant le rapport entre les isotopes uranium-238 et thorium-230, les chercheuses et chercheurs peuvent calculer l'âge de cristallisation des minéraux.

Les grenats utilisés pour cette étude proviennent tous de matériaux que l'équipe de l'ETH Zurich a collectés sur place avec l'aide de collègues des universités de Milan et de Bari. Pour ce faire, ils et elles ont recherché des sites correspondants où les dépôts volcaniques des quatre éruptions mentionnées ci-dessus sont exposés en surface et accessibles pour l'échantillonnage.

Les intervalles deviennent plus courts

En utilisant les âges de cristallisation des grenats, les chercheuses et chercheurs peuvent maintenant montrer que le type de magma le plus explosif du Vésuve (appelé magma phonolitique) est stocké dans un réservoir de la croûte supérieure pendant plusieurs milliers d'années avant que l'afflux de magma plus primitif et plus chaud de la croûte inférieure ne déclenche une éruption.

Pour les deux événements préhistoriques, l'équipe de recherche a déterminé que le magma phonolitique a résidé dans la chambre pendant environ 5000 ans. Avant les éruptions de la période historique, il n'a été stocké dans ce réservoir que pendant environ 1000 ans.

Pour toutes les éruptions, le temps de résidence du magma phonolitique dans la chambre de la croûte supérieure coïncide avec les périodes de repos du Vésuve.

«Nous pensons qu'il est probable qu'une grande masse de magma phonolitique dans la croûte supérieure a bloqué la remontée de magma plus primitif et plus chaud provenant de réservoirs plus profonds», explique Olivier Bachmann. «Le Vésuve a un système de plomberie assez compliqué", ajoute-t-il en souriant.

Sous le volcan se trouvent plusieurs chambres magmatiques reliées par un système de tuyaux. La chambre supérieure, qui est critique pour les éruptions, se remplit de magma provenant d'une des chambres inférieures en un temps assez court. Dans cet environnement plus froid, le magma se refroidit et se cristallise, entraînant des modifications chimiques de la masse fondue résiduelle (un processus appelé différenciation magmatique). Les expertes et experts qualifient le magma différencié du Vésuve de phonolite. À un moment donné (probablement à intervalles relativement réguliers), un magma plus primitif, dit mafique, s'écoule dans la chambre supérieure depuis de plus grandes profondeurs. Cette recharge entraîne une augmentation de la pression dans la chambre, qui peut pousser le magma phonolitique vers le haut, potentiellement jusqu'à la surface, déclenchant ainsi une éruption.

Un réservoir de magma phonolitique semble avoir presque toujours existé sous le Vésuve au cours des 10'000 dernières années. Cependant, la question est de savoir s'il en existe un aujourd'hui qui pourrait alimenter une éruption dangereuse comme celle d'il y a 3'950 ans ou celle de 79 après J.-C..

Accumulation de magma plutôt improbable

Les études sismiques indiquent qu'il existe effectivement un réservoir à une profondeur d'environ six à huit kilomètres sous le Vésuve. Toutefois, la composition du magma qu'il contient - c'est-à-dire s'il est phonolitique ou plus mafique - ne peut être déterminée à l'aide de la technologie sismique. Mais comme le Vésuve produit essentiellement du magma mafique depuis 1631, les chercheuses et chercheurs estiment qu'il est peu probable que de la phonolite différenciée s'accumule actuellement. «La dernière éruption majeure, en 1944, remonte maintenant à près de 80 ans, ce qui pourrait bien être le début d'une période de quiescence prolongée pendant laquelle le magma différencié peut s'accumuler. Néanmoins, une éruption dangereuse comparable à celle de 79 après J.-C. nécessite probablement que la période de repos dure beaucoup plus longtemps», explique Jörn-Frederik Wotzlaw.

Si un magma majoritairement mafique est éjecté dans les décennies à venir, cela pourrait indiquer que le corps magmatique détecté par les études sismiques n'est pas composé de magma différencié et qu'aucun n'est actuellement présent sous le Vésuve. «C'est pourquoi nous pensons qu'il est plus probable qu'une grande éruption explosive du Vésuve ne se produise qu'après une période de quiescence de plusieurs siècles», explique Olivier Bachmann. Jörn-Frederik Wotzlaw ajoute: «Cependant, des éruptions plus petites mais toujours très dangereuses, comme celle de 1944 ou même celle de 1631, peuvent se produire après des périodes de quiescence plus courtes. Il n'est pas encore possible de prévoir avec précision la taille et le style des éruptions volcaniques. Cependant, le réveil des réservoirs de magma sous les volcans est désormais reconnaissable par la surveillance.»

Une surveillance étroite

Pour éviter toute mauvaise surprise, le Vésuve et son activité, ainsi que son grand frère à l'ouest, les Champs Phlégréens, sont surveillés 24 heures sur 24. Par exemple, l'Institut national italien de géophysique et de volcanologie mesure chaque tremblement de terre autour des volcans, analyse les gaz émis par les fumerolles et observe la déformation du sol, qui sont des indicateurs de l'activité souterraine. Il existe également un plan d'urgence indiquant comment évacuer la région de Naples si la surveillance conclut à l'imminence d'une éruption.

Référence

Wotzlaw J-F, Bastian L, Guillong M, et al. Garnet petrochronology reveals the lifetime and dynamics of phonolitic magma chambers at Somma-Vesuvius. Science Advances, 12 Jan 2022, Vol 8, Issue 2, DOI: 10.1126/sciadv.abk2184