Réchauffement: les espèces alpines traînent la patte

Activités saisonnières plus précoces et montée en altitude de la distribution des espèces dans le massif des Alpes: le phénomène se généralise chez les animaux, plantes et champignons mais à des vitesses différentes suivant les groupes considérés. Ce résultat obtenu par une équipe européenne, menée par Yann Vitasse de l’institut fédéral WSL et Jonathan Lenoir du CNRS, France, suggère un remaniement important de la distribution des plantes, animaux et champignons en réponse au changement climatique et pouvant entraîner des désynchronisations entre les espèces d’un même écosystème.
Les papillons et autres insectes terrestres, ici le Sablé du sainfoin (Polyommatus damon), figurent parmi les groupes d’animaux étudiés qui ont le plus migré en altitude. (Photo: Yannick Chittaro)

Un bon nombre d’études ont indépendamment démontré l’impact des changements climatiques sur l’activité saisonnière et la migration des plantes et des animaux, mais ces conséquences n’avaient jamais pu être analysées simultanément à l’échelle du massif des Alpes.

Une équipe européenne d’écologues vient de publier une synthèse qui quantifie ces changements saisonniers et les déplacements en altitude de plus de 2000 espèces de plantes, d’animaux et de champignons vivant dans les Alpes. L’originalité de l’étude est d’avoir combiné des résultats déjà publiés avec de nouvelles données issues des sciences participatives. Les résultats sont sans équivoque et démontrent clairement que les espèces ont réagi avec une activité saisonnière plus précoce et une montée en altitude de leur distribution. La vitesse de déplacement moyenne varie toutefois suivant les groupes taxonomiques et se situe bien souvent en deçà de la vitesse actuelle du réchauffement climatique. L’étude a été publiée dans la revue scientifique Biological Reviews.

De grandes différences dans les activités au printemps

Alors que les insectes terrestres, reptiles, oiseaux migrateurs et plantes ont fortement réagi au réchauffement climatique en avançant leur activité printanière de 2 à 8 jours par décennie en moyenne, d’autres groupes d’organismes comme les oiseaux nicheurs, les amphibiens et les insectes aquatiques ont moins, voire pas du tout décalé leur activité printanière. Yann Vitasse, qui a supervisé l’étude à l’institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage (WSL)  ajoute : « Une différence de réponse de l’activité printanière entre différents groupes d’animaux pourrait causer des désynchronisations entre certains groupes d’organismes et des perturbations dans la chaîne alimentaire ».

 

De la même manière, l’étude montre une tendance pour presque tous les groupes d’animaux ou de plantes étudiés à déplacer leur aire de répartition vers des altitudes plus élevées. Des changements significatifs de l’altitude moyenne de répartition ont ainsi été trouvés pour les papillons, reptiles, arbres et arbustes (>30 mètres par décennie). En revanche, certains groupes ayant un stade larvaire en milieu aquatique, comme les libellules, ou encore les oiseaux, les fougères et les plantes alpines n’ont que peu migré en altitude (<15 mètres par décennie).

Jonathan Lenoir co-auteur de la synthèse au CNRS, en France, précise : « Certains groupes poïkilothermes (« à sang froid ») exclusivement terrestres, comme les papillons et les serpents, dépendent fortement de la fluctuation des températures de l’air pour réguler leur température corporelle. En conséquence, ils migrent plus rapidement que d’autres groupes poïkilothermes partiellement aquatiques tels que les grenouilles ou les libellules, qui utilisent le milieu aquatique comme tampon, ou les groupes homéothermes (« à sang chaud ») tels que les oiseaux, qui régulent eux-mêmes leur température corporelle ».

Les sciences participatives sont importantes

L’étude souligne aussi que les données sont encore très limitées pour un grand nombre d’animaux, plantes et champignons. L’attrait des citoyens pour la science pourrait cependant constituer un atout pour les chercheurs, comme l’explique Yann Vitasse : « Je pense que les sciences participatives pourraient à l’avenir aider  les scientifiques à combler ces lacunes en permettant de regrouper un nombre considérable d’observations sur de multiples groupes d’organismes. Elles sont un moyen très efficace pour regrouper énormément d’observations en un temps record ».