Un nouveau pouvoir pour le marché de l'énergie

Pendant ses études doctorales, Liliane Ableitner a développé un outil d'échange et de facturation pour les communautés énergétiques. Trois ans plus tard, elle est à la tête d'une start-up florissante qui emploie 20 personnes.
Liliane Ableitner : «C'est un secteur assez traditionnel, et il y a des moments où je dois m'affirmer.» (Photo : Daniel Winkler)

Liliane Ableitner est l'exemple même de la femme d'affaires accomplie. En très peu de temps, elle est passée sans difficulté du statut de doctorante à l'ETH Zurich à celui de PDG d'une start-up ayant une clientèle internationale. Elle tient des conférences TED et a été interviewée à plusieurs reprises par le journal Handelszeitung. Elle figure également sur la liste Forbes 2020 des 30 personnes de moins de 30 ans les plus influentes d'Allemagne, d'Autriche et de Suisse. Plus important encore, elle traite quotidiennement avec les PDG de grandes entreprises énergétiques, discute des évolutions futures du marché de l'énergie et explique comment son entreprise, Exnaton, et son logiciel peuvent contribuer à façonner ces tendances. Malgré son jeune âge, Liliane Ableitner, 32 ans, respire l'assurance et l'expérience - des qualités qu'elle a durement acquises. «C'est un secteur assez traditionnel, et il y a des moments où je dois m'affirmer», dit-elle en riant. À l'instar de Liliane Ableitner, le logiciel de l'entreprise a insufflé une nouvelle puissance sur le marché de l'énergie.

Un marché sceptique

Liliane Ableitner a commencé à s'intéresser à l'énergie lorsqu'elle était étudiante en informatique de gestion à l'Université de Bamberg, en Bavière. «Ce qui me préoccupait le plus, c'était de savoir comment faire participer les ménages privés à la transition énergétique», explique-t-elle. Pendant son doctorat à l'ETH Zurich, elle a d'abord travaillé sur les moyens de visualiser les données énergétiques des ménages. «Le retour d'information direct montre aux gens la quantité exacte d'électricité et d'eau chaude qu'ils consomment», explique-t-elle. «Et il leur dit que s'ils font des économies, ils contribueront à la protection de l'environnement.» Elle a ensuite décidé d'intégrer des données sur l'électricité produite par les ménages équipés de panneaux solaires. Son idée était de connecter tous ces ménages et de permettre ainsi un commerce local de l'électricité. Avec d'autres étudiants et étudiantes de l'ETH Zurich, elle a soumis une proposition de recherche à l'Office fédéral de l'énergie. Le financement a été accordé et le projet s'est rapidement développé pour inclure des chercheuses et chercheurs de l'Université de Saint-Gall et des partenaires commerciaux tels que la société suisse de distribution d'électricité FMB et les chemins de fer fédéraux suisses CFF.

Pourtant, les premiers jours ont été marqués par des réticences. «De nombreux producteurs d'électricité établis étaient présents à la réunion de lancement et tous étaient sceptiques», se souvient Liliane Ableitner. L'un des principaux arguments était que les gens n'étaient pas intéressés par le commerce de l'énergie locale et qu'il était trop tôt pour un tel projet. «Nous étions tous et toutes un peu abattues après la réunion», dit-elle.

Commerce local d'électricité

Déterminée à aller de l'avant, l'équipe a développé un prototype du logiciel ainsi qu'une application pour smartphone. L'une des tâches de Liliane Ableitner consistait à concevoir, programmer et évaluer l'application. Des essais sur le terrain ont ensuite été réalisés en partenariat avec l'entreprise de services publics EW Walenstadt, relativement petite, qui a mis l'application à la disposition de 40 ménages de Walenstadt, une municipalité du canton de Saint-Gall. Certains ont produit leur propre énergie solaire, d'autres ont acheté le surplus, et l'application - désormais appelée «PowerQuartier» - a assuré la fluidité des échanges. En analysant des milliers de points de données provenant de compteurs intelligents installés dans les maisons, elle a pu montrer la consommation d'énergie en temps réel et indiquer qui échangeait avec qui. Cela a également fourni une plateforme où les ménages pouvaient faire des offres d'achat ou de vente d'électricité, permettant ainsi à un algorithme de calculer l'offre et la demande.

Lorsque Liliane Ableitner et ses collègues ont examiné les données d'utilisation de la communauté énergétique de Walenstadt, ils et elles ont été surpris par l'engouement qu'elle suscitait. La plupart des ménages se connectaient à l'application au moins une fois par mois, certains même quotidiennement. «Elles et ils étaient bien plus conscients de leur consommation d'électricité que ne le sont normalement les ménages - la plupart des gens ne vérifient qu'une fois par an, lorsque leur facture arrive», explique Liliane Ableitner. Les échanges d'électricité ont également bien fonctionné, les ménages s'empressant d'ajuster leurs offres et contribuant ainsi à fixer les prix sur leur propre marché. Et puis, tout d'un coup, le projet pionnier a fait les gros titres dans toute la Suisse. Les gens n'arrêtaient pas d'appeler l'équipe de l'ETH Zurich pour demander s'ils et elles pouvaient participer au projet. «Elles et ils voulaient tous et toutes savoir quand le projet allait arriver dans leur ville», se souvient Liliane Ableitner en souriant. Stimulée par le succès inattendu du projet, elle s'est empressée de créer Exnaton en 2020, avec Anselma Wörner comme cofondatrice et Arne Meeuw comme cofondateur.

«Nous aidons les services publics à combiner l'ancien et le nouveau.»      Liliane Ableitner

Combiner l'ancien et le nouveau

L'une des premières difficultés rencontrées par la start-up a été de savoir distinguer les bons conseils des mauvais. «On reçoit tout le temps des commentaires, qu'il s'agisse de la couleur de son logo ou de la structure de son modèle d'entreprise», explique Liliane Ableitner. À la recherche de capitaux, l'équipe de la nouvelle entreprise a organisé d'innombrables présentations aux investisseurs et investisseuses. Tous et toutes avaient des suggestions à faire. «Certains et certaines nous ont conseillé de vendre PowerQuartier aux compagnies d'électricité, d'autres nous ont déconseillé de le faire, estimant que nous devrions cibler directement les ménages», explique-t-elle.

Finalement, Exnaton a choisi de travailler directement avec les compagnies d'électricité. Adapter leur activité au nombre croissant de ménages qui produisent leur propre électricité est une étape cruciale pour ces entreprises. Elles doivent offrir le type de services qui leur permettra de conserver leurs clients pendant la transition énergétique - et c'est exactement ce que fait PowerQuartier. Les données sur l'électricité provenant des communautés énergétiques locales impliquent un mélange complexe de tarifs différents à des moments différents, ce qui ne peut être traité que par un outil fonctionnant à un niveau de granularité adéquat. «Nous aidons les services publics à combiner l'ancien et le nouveau», explique Liliane Ableitner. «Avec PowerQuartier, ils peuvent utiliser leur infrastructure de réseau pour fournir aux communautés énergétiques les informations et les services dont elles ont besoin.»

Espace de travail virtuel

Exnaton est encore un David parmi les Goliaths des services publics. Comment l'entreprise parvient-elle à s'imposer ? «Il est très utile d'avoir confiance en sa propre vision, car on sait alors pour quoi on se bat», explique Liliane Ableitner. C'est ce qu'implique une grande partie de son travail. En tant que PDG, elle est le visage public de l'entreprise, responsable des ventes et du marketing, et à la tête d'une équipe de 20 personnes. Certains et certaines employées de l'entreprise travaillent dans le bureau principal de Zurich, tandis que d'autres sont basés en Allemagne, en Suède, en Belgique, en Italie, en Espagne et en Égypte. Ils et elles se retrouvent dans un espace de travail virtuel créé par un outil appelé WorkAdventure. Les employé·es y endossent des avatars rappelant les personnages de la première génération de Nintendo et peuvent s'entretenir en tête-à-tête ou rejoindre une salle de réunion virtuelle qui lance automatiquement une vidéoconférence. «Cela permet de renforcer les liens au sein de l'équipe malgré la distance», explique la PDG.

Actuellement, la plupart de la clientèle de l'entreprise se trouvent en Allemagne, en Autriche et au Luxembourg. En Suisse, en revanche, l'idée de créer des communautés énergétiques à l'échelle de quartiers entiers est encore débattue au parlement. D'autres pays sont plus avancés. En Autriche, par exemple, les compagnies d'électricité utilisent désormais PowerQuartier pour offrir aux communautés énergétiques un service d'abonnement coûtant entre trois et quatre euros par mois. «En contrepartie, la compagnie d'électricité s'occupe de l'aspect pratique du commerce de l'énergie», explique Liliane Ableitner. Les ménages, quant à eux, reçoivent l'application d'échange d'énergie et peuvent ainsi contribuer à la protection de l'environnement, ce qui était précisément l'objectif visé dès le départ.

Quel est donc son prochain objectif ? «Il est évident que je vais me concentrer sur l'entreprise au cours des prochaines années», dit-elle en riant. Après cela, elle pourrait très bien envisager de créer une nouvelle entreprise - et si elle trouve une autre ouverture sur le marché, il pourrait bien s'agir d'une autre start-up dans le domaine de l'énergie.

Plus d'informations

Liliane Ableitner a étudié l'informatique de gestion à l'Université de Bamberg, en Allemagne. Dans le cadre de son projet de doctorat à l'ETH Zurich, elle a co-développé un logiciel et une application pour smartphone qui visualise les données énergétiques et permet aux communautés énergétiques d'échanger l'énergie solaire produite par les ménages membres. En 2020, elle s'est associée à deux partenaires de ce projet pour lancer la start-up Exnaton.

Ce texte a été publié dans le numéro 23/02 du magazine Globe de l'ETH Zurich.