Combiner science et design pour mesurer notre exposition à la lumière

Alliée du sommeil, de la vigilance et de la régulation hormonale, la lumière du jour mérite toute notre attention. En collaboration avec la Haute école d’art et de design ­– Genève (HEAD – Genève), l’EPFL a mis au point un capteur portatif qui mesure avec une résolution spectrale la lumière à laquelle est exposé un individu.
Le prototype du capteur de lumière du jour. © HEAD-Baptiste Coulon

Quelle quantité et quel type de lumière votre œil enregistre-t-il au cours d’une journée? Le capteur Spectrace pourra bientôt vous le dire. Dans une collaboration innovante avec des étudiants et enseignants de la Haute Ecole d’Art et de Design de Genève (HEAD - Genève), le Laboratoire de Performance Intégrée au Design (LIPID) de l’EPFL a développé un concept de capteur de lumière portatif. Simplement posé sur ses épaules, comme une paire d’écouteurs, ou accroché à un vêtement grâce à une broche aimantée, il vise à accompagner toutes les activités d’un individu, qu’elles soient professionnelles, sociales ou sportives.

Le projet vient de recevoir le soutien d’InnoSuisse dans la catégorie e-Health. Le capteur avait déjà reçu en 2019 le soutien d’une Explorer Grant par le programme InnoSeed ENAC de l’EPFL. Ce nouveau financement ouvre la voie au développement d’ici à 2021 d’un prototype abouti, modulaire et testé en conditions réelles, avec l’idée de créer une spin-off qui permettra de rendre le capteur Spectrace accessible à la communauté scientifique et au grand public. 

Rythmes circadiens

Le manque d’exposition à la lumière naturelle et la surexposition aux écrans suscitent l’intérêt croissant des chercheurs depuis la découverte, il y a une vingtaine d’années, de la mélanopsine, un photorécepteur de notre œil sensible aux couleurs ‘bleues’. La mélanopsine permet de gérer notre horloge biologique et de transmettre au cerveau l’information qu’il fait jour ou nuit. Elle est donc responsable de la synchronisation de tous nos rythmes circadiens, avec un impact considérable sur notre santé, que ce soit dans la régulation de notre sommeil et de notre cycle hormonal – dont la production de mélatonine la nuit – ou le bon fonctionnement de notre système immunitaire. 

«Il devient urgent de faire plus attention à notre ‘hygiène lumineuse’», explique la professeure Marilyne Andersen, directrice du LIPID et experte du sujet depuis une quinzaine d’années. «En passant autant de temps à l’intérieur, nous sommes en insuffisance chronique de lumière pendant la journée, tout en étant constamment exposés à des écrans, dont les effets sont particulièrement négatifs la nuit. Il faudrait au contraire s’exposer à de la lumière abondante et riche en bleus la journée, afin d’en accumuler suffisamment, pour se sentir mieux et limiter cette exposition bien avant de se coucher.» 

Lacune à combler

Différents types de capteurs de lumière portatifs existent sur le marché. Aucun jusqu’ici ne parvenait toutefois à mesurer notre exposition à la lumière de manière réellement spectrale, c’est-à-dire en fonction de la longueur d’onde de la lumière (toutes les «couleurs» qui la composent). C’est là la nouveauté du prototype développé par l’EPFL. Les données manquent en effet sur le type de lumière à laquelle on est réellement exposé en fonction de ses habitudes et de l’environnement dans lequel on vit et travaille. Les effets physiologiques de la lumière dépendent non seulement de son intensité et sa temporalité, mais aussi de son spectre. C’est la lacune que le capteur Spectrace compte combler. 

Dans le cadre de sa thèse au laboratoire LIPID de l’EPFL, sous la supervision conjointe de Marilyne Andersen et de Manuel Spitschan du Département de psychologie expérimentale de l’Université d’Oxford, Forrest Webler cherche à développer le concept de «diète spectrale», visant à catégoriser les profils d’exposition à la lumière. A cette fin, il a repéré un spectromètre miniaturisé, fabriqué par la start-up sud-coréenne Nanolambda pour des applications agroalimentaires. En collaboration avec Giorgia Chinazzo, alors post-doctorante au LIPID et impliquée dès le début dans le projet, il a ensuite travaillé avec des étudiants en électronique de l’EPFL pour adapter le spectromètre sous la forme de capteur portatif qui intègre aussi un senseur UV et un photomètre et offre une résolution temporelle de moins d’une seconde. 

Esthétique et agréable à porter

En parallèle, l’EPFL a collaboré avec des designers Produit et Media/interaction de la HEAD – Genève à travers un atelier organisé en juillet 2019 avec une dizaine d’étudiants et alumni et mené par Laure Krayenbuhl, fondatrice du bureau a-project studio basé à Bienne. Leur mission: trouver un design qui soit esthétique et agréable à porter. Divers concepts ont été explorés, allant du capteur porté à l’oreille à la broche-bijou, en passant par des patches corporels à base de biomatériaux, pour aboutir à un collier connecté combiné à des variantes de type broche. Ceux-ci ont fait l’objet d’un développement plus approfondi au cours de l’automne 2019, où la technique et le design ont évolué en synergie, en s’influençant mutuellement. 

Les personnes qui se rendent au travail à vélo, en métro ou en voiture ont-elles un profil spectral différent au point où cela peut avoir un impact sur leur santé et leur bien-être? Qu’en est-il de la taille de leurs fenêtres au bureau, ou de l’orientation de celles-ci? Autant de questions auxquelles compte répondre le laboratoire LIPID ces prochaines années.