Évaluer la durabilité dans le domaine spatial

Le nouveau Space Sustainability Rating accueilli par eSpace, le centre spatial de l’EPFL, encourage le secteur de l’espace à concevoir et à mettre en œuvre des missions spatiales durables et responsables — montrant ainsi la voie pour assurer à long terme une approche durable de l’environnement spatial.
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L’an dernier, le lancement du très attendu télescope spatial James Webb (JWST) avait dû être reporté du 23 au 25 décembre en raison d’un risque de collision avec un débris spatial, selon la Direction des Lanceurs de l’Agence spatiale européenne (ESA). Le fait que des débris spatiaux aient pu causer le retard du lancement d’un télescope valant plusieurs milliards de dollars montre à quel point leur prolifération est devenue problématique.

La croissance rapide du secteur spatial présente de nombreux avantages pour l’ensemble des habitants de la Terre. Mais des décennies de comportements non durables ont entraîné un encombrement des orbites et une multiplication rapide des débris spatiaux représentant un risque majeur pour l’opération des satellites, l’exploration spatiale, ainsi que d’autres missions scientifiques. Et ce problème ne fait que prendre de l’ampleur. Actuellement, plus d’un million d’objets dont la taille excède 1 cm se trouvent en orbite autour de la Terre. Or, plus de 60 000 satellites devraient être lancés au cours de la prochaine décennie, compromettant la faculté de l’orbite terrestre à accueillir en toute sécurité de nouveaux corps spatiaux.

Par conséquent, il est de la plus haute importance que les acteurs du secteur spatial planifient et dirigent des missions aussi durables que possible de façon à garantir un usage pérenne de l’environnement spatial. Pour les encourager à adopter une telle approche, une alliance regroupant le Forum économique mondial (FEM), l’ESA, le Massachusetts Institute of Technology (MIT), BryceTech et l’université du Texas à Austin a conçu le Space Sustainability Rating (SSR), qu’eSpace a été choisi pour diriger sa mise en œuvre en 2021.

Le SSR est un système d’évaluation volontaire qui fournit aux acteurs du spatial un instrument simple et probant pour mesurer de manière exhaustive la durabilité à chaque phase de leurs missions, de la conception jusqu’à la conclusion, à l’aide d’une série de paramètres ayant fait leurs preuves.

«À ce jour, il n’existe pas de définition commune à l’échelle mondiale de ce que recouvre un comportement durable dans l’espace, et il reste difficile de quantifier, d’évaluer et de vérifier les recommandations internationales en matière de durabilité spatiale», explique Minoo Rathnasabapathy, ingénieure de recherche au Space Enabled Research Group du MIT et ambassadrice du SSR. «Le SSR contribue à combler cette lacune en offrant aux opérateurs spatiaux un outil inédit et concret leur permettant d’évaluer le niveau de durabilité de leurs missions.»

En intégrant le SSR, les entreprises fabriquant des satellites et autres engins spatiaux ont accès à des évaluations transparentes et factuelles du degré de durabilité de leurs missions spatiales, ce qui leur permet de déterminer clairement où en sont leurs missions et leurs opérations en termes de durabilité, d’identifier les points susceptibles d’être améliorés et de rendre leurs résultats publics.

«Le fait d’inciter les acteurs du spatial à adopter un meilleur comportement en les mettant en concurrence sur le plan de la durabilité va créer un phénomène d’émulation», a déclaré en 2021 Nikolai Khlystov, du Forum économique mondial, à propos du SSR.

Le développement du SSR, qui a duré six ans, a impliqué un certain nombre d’opérateurs parmi lesquels Airbus, Axelspace, OneWeb, Planet, et SpaceX ainsi que l’EPFL Spacecraft Team dans la phase de test bêta pour en garantir sa précision et sa maniabilité du point de vue des utilisateurs et utilisatrices.

Son lancement, qui a eu lieu en juin lors du Space Sustainability Summit organisé par la Secure World Foundation et l’Agence spatiale britannique, a été l’occasion de présenter la valeur ajoutée de cette approche et de sa méthodologie, dont témoigne l’officialisation de la première notation officielle, celle de Stellar, une entreprise de télécommunications également membre fondateur du SSR.

«Le recours à des solutions innovantes, collaboratives et pratiques est essentiel pour garantir la sécurité des missions spatiales actuelles et futures, ainsi que des infrastructures dont nous dépendons», a souligné Florian Micco, chef de projet pour le Space Sustainability Rating. «Le SSR a pour objectif d’encourager et de guider les efforts des acteurs de l’espace en vue d’améliorer leur durabilité globale. L’expertise et le réseau d’eSpace faciliteront le développement et la promotion de bonnes pratiques en faveur de comportements spatiaux plus durables, plus responsables et ainsi plus sûrs.»

Inciter à des comportements durables

Conçu par les membres de l’alliance qui disposent d’une expertise en matière de débris spatiaux, d’astrodynamique, de politique technologique et d’économie spatiale, le SSR utilise des modules pour évaluer les missions suivant différents critères: leur potentiel d’interférence physique préjudiciable; leurs processus d’évitement des collisions; leur mode de partage des données; la manière dont leur conception permettra aux observateurs de suivre le(s) objet(s); leur conformité aux normes internationales; enfin, leur ouverture et leur capacité à recevoir des services externes.

Les opérateurs spatiaux participant au SSR se voient décerner un certificat avec le sceau «bronze», «argent», «or» ou «platine» suivant les résultats d’un processus d’évaluation complet basé sur les six modules. Ensuite, grâce au calcul d’un deuxième score, les opérateurs peuvent gagner des points supplémentaires pour aller au-delà de l’évaluation de base. Ces bonus font l’objet d’un rapport distinct et n’apparaissent pas dans l’évaluation de base, mais constituent une distinction honorifique matérialisée par des étoiles. Ainsi, pour sa première évaluation officielle, Stellar a obtenu un certificat «bronze» assorti d’une étoile. Les opérateurs pouvant communiquer sur l’évaluation qu’ils ont obtenue, ils ont tout intérêt à planifier les missions les plus durables possible.

«C’est un honneur pour nous d’avoir été récompensés par le premier Space Sustainability Rating», a déclaré Damien Garot, PDG de Stellar, «car la durabilité est un critère essentiel, sur Terre et dans l’espace. Et nous allons poursuivre notre collaboration avec l’association SSR pour améliorer la durabilité de nos missions.»

Outre la labellisation proprement dite, le SSR fournit également un rapport détaillé sur les mesures que pourrait prendre chaque opérateur pour améliorer son classement, par exemple modifier la conception de ses engins spatiaux ou communiquer des informations supplémentaires.

«Le Space Sustainability Rating pourrait changer la donne dans la façon dont sont menées les missions spatiales», estime Professeur Jean-Paul Kneib, directeur académique d’eSpace.

Une plateforme inclusive pour une collaboration pratique

Le SSR s’est fixé pour objectif de devenir une organisation à but non lucratif afin de garantir l’indépendance et l’équité de son système d’évaluation, ainsi que de collaborer avec tous les acteurs du domaine spatial. Cette année, l’Office spatial suisse a octroyé un soutien financier crucial pour la mise en œuvre du projet. Mais, à l’avenir, le SSR souhaite générer suffisamment de recettes pour couvrir ses dépenses de fonctionnement, mener des recherches afin d’affiner sa méthode, et développer son système d’évaluation grâce aux frais d’adhésion et au fait que les opérateurs paient pour se faire évaluer.

Heureusement, le SSR, unique en son genre, suscite déjà un intérêt croissant. Stellar et l’Université Nihon au Japon ont rejoint les membres fondateurs au premier trimestre 2022. Cette dernière va notamment diriger l’établissement d’un pôle SSR régional pour le Japon et la zone Asie-Pacifique. Par ailleurs, dans les semaines qui ont précédé le lancement, ALTER group, EnduroSat, Privateer, la Secure World Foundation et Slingshot Aerospace sont également devenus membres, apportant ainsi au SSR une expertise précieuse permettant d’améliorer le système d’évaluation et d’en garantir la pertinence et la précision.

«Il n’est possible de croître rapidement dans le secteur spatial que si cela s’effectue de manière durable», a déclaré Raycho Raychev, fondateur et PDG d’EnduroSat. «C’est pourquoi nous sommes fiers de rejoindre cette initiative internationale inédite visant à faire progresser la durabilité en orbite.»

L’EPFL, une actrice de premier plan en matière de durabilité spatiale

Ces dernières années, l’EPFL est devenue une actrice de premier plan en matière de sécurité spatiale et de traitement des problèmes liés aux débris spatiaux. En mai 2022, deux centres de l’EPFL — eSpace et le Centre international de gouvernance des risques (IRGC) — ont participé à l’organisation du premier atelier sur la sécurité spatiale cinétique. Depuis 2020, ces deux centres coopèrent également dans ce domaine aux côtés de Space Innovation (l’un des domaines d’innovation de l’EPFL). Ils sont notamment à l’origine de deux publications de l’IRGC: Collision risk from space debris: Current status, challenges and response strategies et Policy options to address collision risk from space debris. Les travaux d’eSpace sur les débris spatiaux s’inscrivent dans le cadre de l’initiative actuelle de recherche du centre sur la logistique spatiale durable (SSL), en partenariat avec Space Innovation.

L’EPFL coordonne également la participation de la Suisse au Square Kilometre Array (SKA) qui constituera le plus grand radiotélescope de tous les temps. Ce télescope permettra à des chercheuses et chercheurs d’étudier certains des plus grands mystères de l’univers avec un degré de précision sans précédent. SKA et son consortium suisse, SKACH, mettent également l’accent sur la durabilité en construisant leurs télescopes dans des endroits isolés, en travaillant avec les populations locales et indigènes, et en s’efforçant de préserver l’obscurité et la tranquillité du ciel nocturne afin que celui-ci reste une ressource durable pour tous.

«Grâce au lancement du Space Sustainability Rating et à l’adhésion de la Suisse au programme SKA, l’EPFL renforce encore sa position de leader dans le domaine de l’exploitation durable de l’espace», a déclaré Prof. Kneib, qui a ajouté «il est du devoir de celles et ceux d’entre nous qui travaillent dans le domaine spatial de veiller à ce que l’espace reste sûr pour les prochaines générations.»

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