«Les sciences appliquées ouvrent de nouveaux horizons»

Bastian Etter développe des installations sanitaires autonomes qui recyclent ce qui sort de nos intestins. De chercheur, il est devenu entrepreneur.
 
Bastian Etter, 37 ans. Fondateur d’une spinoff de l’Eawag. (Image: Eawag)

Il a mené ses recherches sur le terrain au Népal et en Afrique du Sud, et en est revenu convaincu de l’impact qu’elles pouvaient avoir dans la société. En marge de ses travaux scientifiques à l’Eawag, Bastien Etter a offert des services de conseils avant de lancer une start-up. Le business model de Vuna: les excréments. Au lieu de s’en débarrasser, les dispositifs développés par le Biennois de 37 ans traitent et revalorisent ce qui sort de nos intestins.

​​​​​​​Au fait, pourquoi vous êtes-vous intéressé au traitement des excréments?

En Suisse, on est fort dans le recyclage du verre, du plastique ou de l’aluminium, mais presque rien ne se fait avec les eaux usées. On tire la chasse et on oublie. Alors que nos excréments, au lieu d’être valorisés, polluent notre environnement. Nous avons développé à l’Eawag des installations sanitaires qui séparent l’urine et les matières fécales. Cela permet de les transformer en fertilisant et en compost. D’autres systèmes filtrent par des plantes les eaux usées faiblement polluées, ce qui est utile pour des habitations plus autonomes, notamment dans des zones reculées.

«On tire la chasse et on oublie»      Bastian Etter

Comment vos recherches ont-elles mené à la création d’une start-up?

Notre équipe recevait de nombreuses demandes sur nos dispositifs, notamment en Suisse et dans les pays voisins. Le Club alpin suisse, par exemple, nous avait contactés pour évaluer des toilettes autonomes pour ses cabanes en altitude. Des projets d’habitations en ville s’intéressent au traitement des eaux grises, c’est-à-dire faiblement polluées, afin de les réutiliser en circuit fermé ou de faire pousser de la végétation. Ce dernier point est particulièrement intéressant par rapport au réchauffement climatique, car davantage de surfaces vertes seront nécessaires pour contrer les îlots de chaleur qui se développent en milieu urbain.

Comment avez-vous franchi le pas?

Ce fut un long processus. Pendant deux ans, j’ai continué mes travaux de recherche à l’Eawag tout en développant des services de conseils. En 2016, j’ai fondé Vuna avec des partenaires. C’est une évolution logique: j’ai toujours voulu que mes recherches servent sur le terrain et qu’elles ne se restreignent pas au domaine académique.

Votre intérêt pour les sciences appliquées était-il compatible avec le milieu de la recherche de pointe?

J’ai eu la chance d’être à un poste dans lequel la pression à publier des articles de recherche n’était pas trop forte. J’ai d’ailleurs toujours poussé mes collègues à aller davantage sur le terrain. Cela n’a pas toujours été apprécié, j’en suis bien conscient! Car certains préfèrent rester au labo et publier. Mais pour moi, il est absolument essentiel de confronter ses recherches scientifiques au monde réel.

Pourquoi?

J’en retire beaucoup d’inspiration. En côtoyant les professionnels sur le terrain – que ce soient des architectes, des travailleurs du bâtiment ou des jardiniers, on apprend beaucoup. Leur savoir ne vient pas de livres, mais de l’expérience et des observations qu’ils font. Cela m’a aidé dans mes recherches, notamment à identifier de nouveaux problèmes très concrets et à développer des approches créatives et flexibles afin les résoudre. Hors du laboratoire, on découvre l’inattendu. On doit improviser et faire avec les moyens du bord, et cela nous pousse à imaginer des solutions créatives.

Aucune nostalgie pour le milieu de la recherche?

Je rencontre souvent mes anciens collègues ainsi que des scientifiques qui viennent voir ce que nous faisons, car les bureaux de Vuna sont situés dans l’incubateur de startups Glatec à Dübendorf, très proche de l’Eawag et de l’Empa. Les discussions les plus créatives ne se font pas lors

«Il est essentiel de confronter ses recherches scientifiques au monde réel»      Bastian Etter

Comment avoir un cadre qui soutienne l’innovation?

Il faut encourager les chercheuses et les chercheurs à se rendre sur le terrain et à interagir avec les professionnels dans tous les domaines. Nous essayons d’y contribuer: chaque année nous emmenons une équipe de l’Eawag dans une cabane de montagne disposant d’une installation sanitaire innovant.

Les recherches appliquées sont-elles assez encouragées à l’Eawag?

Pas assez selon moi. Je perçois une forte orientation vers la science fondamentale. On peut certes trouver des financements importants, mais cela me paraît dommage, car les sciences appliquées ouvrent des horizons nouveaux. J’espère donc qu’elle aura toujours sa place, aux côtés des recherches académiques.

NOTRE SÉRIE SUR LES ÉTUDIANT·E·S ET LA SCIENCE

Les étudiantes et les étudiants étudient, et les scientifiques publient. C’est le train-train des hautes écoles et des instituts de recherches.

Mais ces institutions veulent désormais encourager les parcours inhabituels: création de start-up, projets interdisciplinaires, compétitions internationales, vulgarisation scientifique. «Il faut éviter tout ce qui peut générer des résistances», confie Pascal Vuilliomenet, responsable du Discovery Learning Program de l’EPFL (voir notre entretien). Nous avons rencontré deux étudiantes et un chercheur qui ont créé leur propre chemin, à côté des salles de cours et des labos.