Un atelier pour combattre les stéréotypes inconscients

Façonnés par notre environnement culturel et social, notre éducation et notre histoire personnelle, les biais inconscients exercent souvent dans le milieu de l’ingénierie un impact négatif sur les femmes et les groupes minoritaires. Une recherche menée à l’EPFL conclut qu’une formation peut aider à changer les comportements.
Lors de l'activité en groupe, un observateur est chargé d'évaluer les interactions, le processus de décision, et de déceler les éventuels stéréotypes. © Alain Herzog 2023 EPFL

Imaginez une personne qui opère les gens et une autre qui dispense des soins à des malades. Quel genre avez-vous attribué à chacune d’entre elles ? Il y a fort à parier que la première était plutôt un homme et la seconde une femme, même si l’égalité des chances vous est chère. La faute aux biais inconscients auxquels personne n’échappe. Soit des stéréotypes et préjugés influençant les caractéristiques que nous attribuons ou attendons d’une personne ou d’un groupe social. «Tels des dumplings, nous baignons toutes et tous dans une soupe culturelle qui façonne des biais», image Siara Isaac, chargée de cours et collaboratrice scientifique au Centre des sciences de l'apprentissage (LEARN).

Pour sensibiliser à ces stéréotypes et préjugés inconscients et à leurs impacts dans les interactions, elle a créé le workshop Micro-Ethics for Project Teams. «Il est né d’un projet personnel visant à comprendre mes propres biais, sourit Siara Isaac qui travaille aussi comme conseillère pédagogique au Centre d'appui à l'enseignement (CAPE). En échangeant sur celui-ci avec Roland Tormey (ndlr: responsable du CAPE), nous avons pensé qu’il serait utile de le proposer à l’EPFL, qui a soutenu cette initiative. Le workshop est avant tout destiné aux étudiantes et étudiants impliqués dans des projets MAKE, mais tout le monde peut y participer.»

Montrer pour déjouer

Trois ans après les débuts de l’atelier (proposé chaque année au semestre de printemps et d’automne), une recherche publiée récemment dans la revue Science and Engineering Ethics vient confirmer sa pertinence. Interrogés quelques mois après leur participation, une majorité de répondantes et répondants ont affirmé être plus conscients de leurs biais (71%) et mieux armés pour reconnaître les actes préjudiciables vus ou entendus (84%). Ils ont aussi rapporté que l’atelier a entraîné des modifications de leur manière de penser ou de se comporter (69%), et indiqué avoir mis en place des stratégies pour rendre plus équitables les discussions en équipe et le processus de décision (62%).

«Tels des dumplings, nous baignons toutes et tous dans une soupe culturelle qui façonne des biais.»      Siara Isaac, collaboratrice scientifique au Centre des sciences de l'apprentissage

«Il est incroyable de constater à quel point nous avons des réactions inconscientes qui ne correspondent pas à ce que nous croyons ou pensons, à cause des informations et des comportements influencés par la culture et la société dans laquelle nous vivons, témoigne Anita Manzolini, étudiante à l’EPFL qui a participé au workshop. L’atelier m’a permis de prendre conscience qu’en raison de ceci, nos réactions rapides ne correspondent pas toujours à nos convictions.»

Problème sournois

Les biais inconscients, liés aux émotions qui influencent la prise de décision et la collaboration lors de travail en équipe, sont désormais reconnus comme un facteur important du manque de diversité dans les programmes d’éducation en ingénierie. La recherche scientifique montre qu’ils exercent un impact négatif sur les femmes et les groupes minoritaires. En raison de ce climat discriminatoire, ces personnes ont un plus haut taux d’échec et d’abandon de leurs études. «Notre objectif est de fournir aux étudiantes et étudiants les outils pour amener un changement de culture», explique Siara Isaac.

«Il est incroyable de constater à quel point nous avons des réactions inconscientes qui ne correspondent pas à ce que nous croyons ou pensons.»      Anita Manzolini, étudiante à l’EPFL

A L’EPFL l’enquête sur le harcèlement, les violences et la discrimination menée en 2021 indique par exemple que 44% des femmes interrogées ont été victimes de commentaires inappropriés ou désobligeants, et un quart déclarent avoir subi des contacts physiques non désirés (cela monte même à un tiers pour les étudiantes). «Le problème avec les biais inconscients, c’est qu’on ne les voit pas, c’est quelque chose de très subtil et ils entrent fréquemment en conflit avec les croyances que les personnes décrivent. Ils sont implémentés en nous et se manifestent surtout dans des situations de stress ou d’urgence», explique Siara Isaac.

«L’ingénierie n’est pas épargnée par les problèmes sociaux et éthiques, bien que la science se veuille la plus objective possible.»      Andréa Montant, étudiante à l’EPFL

La première étape consiste donc à rendre les personnes attentives à leurs propres biais. Dans son atelier, Siara Isaac demande de réaliser un test d’associations implicites qui permet de prendre conscience de ses stéréotypes et préjugés. Ensuite, elle propose différentes stratégies pour un travail en équipe équitable, avant d’inviter les étudiantes et étudiants à les appliquer dans une activité de groupe. Dans chaque groupe, un observateur évalue les interactions, le processus de décision et les éventuels stéréotypes mentionnés. Un débriefing collectif clôt l’activité.

«L’ingénierie n’est pas épargnée par les problèmes sociaux et éthiques, bien que la science se veuille la plus objective possible, relève Andréa Montant, étudiante de l’EPFL qui a participé à l’atelier. J’ai retenu qu’il faut réfléchir à l’innovation dans son environnement et prendre en compte la pluralité des utilisatrices et utilisateurs. De la même manière, il ne faut pas négliger le management d’équipe et les éventuelles incompréhensions dans un groupe réunissant des personnes issues de divers milieux.»

Make it awkward

En conclusion de l’atelier, un jeu de rôle permet aux participantes et participants d’exercer la manière de réagir à des paroles ou des comportements discriminatoires. «Je me base sur des faits qu’on m’a partagé. Je pense que nous avons toutes et tous été la cible ou le témoin d’une remarque ou d’un acte déplacé en étant incapable de réagir sur le moment, car c’est difficile et cela demande de la pratique. C’est pourquoi, je fournis un set de petites cartes qui proposent un éventail de réactions possibles», note Siara Isaac.

Siara Isaac © Alain Herzog 2023 EPFL

C’est le principe du «make it awkward», soit réagir à un comportement ou un propos inadéquat pour le rendre embarrassant. Comment ? Par exemple en partageant sa perspective, en énonçant ses valeurs, en affirmant ses limites personnelles ou encore en proposant à l’orateur de reconsidérer son propos. «J’ai toujours réagi aux comportements ou remarques déplacées, que ce soit envers moi ou envers quelqu'un d'autre, note Anita Manzolini. Ce qui a changé depuis l'atelier, c'est l'utilisation de différentes façons de répondre. Par exemple, il m'est arrivé de répondre à une remarque assez inappropriée en exprimant mes sentiments par rapport au sujet, et cela a très bien fonctionné. Je n'avais jamais utilisé cette méthode auparavant.»

Et puisque les stéréotypes concernent tout le monde, si on a soi-même agi de manière inadéquate il convient de reconnaître son erreur, d’en prendre la responsabilité et d’énoncer son intention de s’améliorer. Un cheminement facile à énoncer, mais qui demande aussi de l’exercice.