La réalité augmentée pour manipuler molécules et concepts

Un site web développé à l’EPFL permet aux professeurs et élèves d’explorer les concepts de chimie et biologie par la manipulation de molécules virtuelles en réalité augmentée. Les activités exécutées comme des pages web sur ordinateur, tablette ou smartphone permettent à chaque élève de travailler à 100% chez lui et à l’école sans nécessiter de matériel compliqué et onéreux.
© 2020 EPFL

Pourquoi les molécules ont-elles telle ou telle forme ? Comment se meuvent-elles ? Comment les protéines se lient-elles à l’ADN pour lire l’information génétique qu’il contient ? Comment peut-on se représenter des structures moléculaires ? L’apprentissage et l’enseignement de la chimie sont souvent complexes en raison de la nature abstraite de ses nombreux concepts. Si l’on ne peut voir les atomes ou molécules dans la vie de tous les jours, comment les élèves peuvent-ils se représenter les formes moléculaires, les interactions et les mécanismes à l’origine de la chimie et de la biologie, et les professeurs les aborder ? Les supports pédagogiques classiques comme les livres regorgent d’une multitude de graphiques statiques à deux dimensions. La plupart du temps ils ne permettent pas d’aborder des sujets complexes notamment sur les formes et mouvements 3D.

Les modèles moléculaires physiques à trois dimensions permettent de comprendre de manière très intuitive la disposition spatiale des atomes dans une molécule ou les différentes manières dont une molécule se meut dans l’espace. Mais même ces modèles ont leurs limites. Ils sont utiles seulement pour travailler avec des molécules et ne peuvent pas représenter d’autres parties de la chimie comme les orbitales et les surfaces moléculaires. Ils ne peuvent pas non plus représenter de manière complète de grandes molécules biologiques. Les modèles physiques sont également limités en termes de nombre d’atomes et de types d’atomes disponibles dans le kit, et les utilisateurs doivent créer eux-mêmes les modèles, ce qui s’avère difficile pour les grandes molécules.

Les nouvelles technologies en aide à l’enseignement de la chimie et de la biologie

Les technologies modernes basées sur la réalité virtuelle (RV) et la réalité augmentée (RA) peuvent exploiter au maximum la simulation informatique et les mondes physiques pour permettre aux professeurs et élèves de travailler avec des objets virtuels qu’ils peuvent manipuler comme s’ils étaient réels. Toutefois, la majeure partie du contenu pédagogique disponible dans ces formats est onéreuse et peut nécessiter du matériel comme des lunettes de réalité virtuelle. Et dans de nombreux cas, les outils comprennent des visualisations statiques sans interactivité.

Aujourd’hui, les chercheurs Luciano Abriata et Fabio Cortes, du laboratoire de Matteo Dal Peraro à la Faculté des sciences de la vie de l’EPFL, ont mis au point un site web comportant de nombreuses activités pédagogiques interactives en réalité augmentée dans les domaines de la chimie et de la biologie, que les professeurs et élèves peuvent utiliser sur ordinateur portable, tablette et smartphone.

Les utilisateurs choisissent une activité dans leur navigateur web, et montrent à leur webcam des marqueurs RA préalablement imprimés sur papier. Chaque activité affiche des objets virtuels sur les marqueurs. L’utilisateur peut ensuite les déplacer dans l’espace pour inspecter leurs formes et les faire interagir via l’écran, en les superposant au monde réel. Les activités disponibles pour le moment sont adaptées aux cours de chimie et de biologie de niveau lycée et aux deux ou trois premières années de cours universitaires : formes moléculaires, orbitales atomiques et moléculaires, conformations et dynamiques moléculaires, équilibres acido-basiques, chiralité et énantiomérie, structures protéiques et assemblages biologiques macromoléculaires.

Les activités

© 2020 EPFL

L’activité phare sert d’alternative virtuelle aux kits de modélisation en plastique où les utilisateurs peuvent créer n’importe quelle molécule ou la charger à partir d’une base de données et la manipuler dans trois dimensions, aidé par plusieurs commandes qui vont plus loin qu’un modèle en plastique traditionnel. Les utilisateurs peuvent facilement inspecter des structures 3D complexes, voir comment les molécules se meuvent, comparer des centres chiraux, tester des interactions, etc.

D’autres activités permettent aux utilisateurs de charger différentes molécules qui représentent les principaux de formes moléculaires, orbitales atomiques, ou même les orbitales moléculaires de molécules simples. Ces activités supportent deux marqueurs RA qui agissent indépendamment, ce qui facilite la comparaison des objets 3D dans l’espace de l’utilisateur. Cela est important pour comprendre l’origine des différentes formes moléculaires et la réactivité chimique en comparant des paires de molécules ou orbitales.

Un ensemble spécifique d’activités permet aux élèves d’expérimenter les équilibres dynamiques, la liaison hydrogène et l’acidité/basicité, avec des molécules qui échangent des atomes d’hydrogène pendant une interaction. Le serveur comprend également deux modules d’activités dédiés aux macromolécules et assemblages biologiques, allant de structures qui peuvent être inspectées avec une précision atomique pour connaître la structure protéinique et les interactions entre les protéines et l’ADN, aux représentations 3D de structures déterminées expérimentalement de tissus complets.

S’adresser aux utilisateurs

Développé dans le cadre d’un subside Spark du Fonds national suisse, le site web est désormais accessible gratuitement, sans inscription, à l’adresse https://molecularweb.epfl.ch en anglais, français, allemand, italien, espagnol et portugais. « Nous espérons maintenant avoir le retour d’expérience d’élèves et de professeurs suisses qui utilisent le site web, et collaborer notamment avec les professeurs pour éventuellement créer des activités adaptées à leurs programmes, voire leur permettre de créer leurs propres activités RA », explique Luciano Abriata, qui ajoute : « […] l’utilisation est simple : il suffit d’accéder à une page web, d’imprimer un marqueur et de le montrer à la webcam. Nous pensons que le site web peut être largement utilisé dans les écoles et l’apprentissage moderne et qu’il est particulièrement adapté à l’enseignement à distance. »

Depuis la présentation de ses premières versions aux journées portes ouvertes de l’EPFL et à l’occasion d’autres événements de sensibilisation qui ont eu lieu en 2019, le site web a été visité plus de 10 000 fois. Cela démontre un fort engagement de la part des élèves, l’intérêt porté à la chimie et, curieusement, à la programmation web également. « Lorsque nous l’avons présenté au Lycée cantonal de Porrentruy, certains élèves, ayant remarqué qu’il était codé comme des pages web, nous ont demandé de voir le code, ce qui est possible dans le navigateur web – comme ils le savaient tous – pour leur permettre de se familiariser avec le code et ainsi d’apprendre à programmer », explique Luciano Abriata.

Les développeurs de l’outil – un doctorant en chimie et un ingénieur webXR – s’adressent aujourd’hui aux enseignants pour connaître leur expérience, mesurer l’impact pédagogique réel de l’outil sur l’enseignement de la chimie et recueillir leurs demandes de nouvelles activités. Ils invitent les enseignants et professeurs de chimie et de biologie à tester le site web dans leur classe, et soulignent son utilisation individuelle simple, aussi bien à l’école qu’à la maison, grâce aux besoins modestes en matériel.