«J’ai débuté grâce à un échec!»

Elle va envoyer six astronautes amateurs dans un souterrain sous les Alpes afin de simuler une mission spatiale. Etudiante à l’EPFL, Chloé Carrière vit pleinement sa passion pour l’astronomie à côté des cours.
Chloé Carrière, 22 ans, étudiante en master de management des technologies à l’EPFL. (Image: EPFL/Alain Herzog

La jeune Française dit se passionner pour l’espace, et on la croit sur parole. En 2019, Chloé Carrière fonde l’association Space@yourservice pour catalyser des projets de vulgarisation des sciences spatiales. Elle organise des rencontres grand public dans des bars à Lausanne (Astronomy on tap) et fabrique une escape room qui plonge le visiteur dans une base lunaire sur le point de perdre le contact avec la Terre. Un an plus tard, elle lance la mission Asclepios qui rassemble une centaine d’étudiantes et d’étudiants en Suisse et à l’étranger dans le but d’établir une base spatiale dans le site d’essai souterrain du Grimsel, à 1700 mètres d’altitude. En pleine pandémie, elle lance ensuite le Galactic Chloé Show, un talk-show filmé à l’EPFL avec des personnalités du campus. Après un bachelor en physique, Chloé Carrière fait un master en management des technologies, et poursuit son autre hobby: le pole dancing, qu’elle pratique en compétition.

Où trouvez-vous l’énergie de faire toutes ces choses?

Je ne vais pas mentir: ce n’est pas toujours simple de conjuguer mes études et ces activités. Il faut être passionnée. Pour moi, il n’y a pas de différence entre un dimanche et un lundi, et c’est la même chose pour la plupart des gens qui s’engagent autour de moi. Il faut être bien organisé et pouvoir basculer facilement des projets aux études.

D’où vient votre passion pour l’espace?

De la mission spatiale Planck, dont j’ai entendu parler à l’âge de 15 ans. Elle a établi une carte ultra précise du fond diffus cosmologique, donc une image de l’Univers lorsqu’il n’avait encore que 380 000 ans. J’ai voulu m’orienter vers le spatial. J’ai choisi l’EPFL, qui semblait mettre l’accent non pas uniquement sur l’aspect académique mais également sur l’innovation et sur toutes ces choses qui se passent à côté des salles de cours.

«Je perçois une vraie volonté de l’EPFL de trouver des solutions qui permettent de soutenir aussi ce genre de projets»      Chloé Carrière

Comment avez-vous débuté la vulgarisation scientifique?

Grâce à un échec! Malgré tous mes efforts, j’ai redoublé ma première année à l’EPFL. Comme je n’avais que quelques examens à repasser, j’ai soudainement eu davantage de temps pour le reste. J’ai eu envie d’organiser des rencontres d’astronomie dans les bars. J’ai présenté ce projet à deux institutions, l’EPFL Space Center et le Swiss Space Center. Leurs directions m’ont soutenue avec un peu de financement et surtout des contacts et des conseils précieux. J’ai ensuite pu rejoindre le programme Science Studio de Swissnex San Francisco, durant lequel j’ai développé l’escape room, un jeu qui simule un incident sur une base lunaire.

Vous avez mis sur pied Asclepios, un projet qui veut simuler une mission spatiale dans un tunnel sous les Alpes…

C’est une grosse initiative que je codirige avec une autre étudiante en physique de l’EPFL. Elle rassemble désormais une centaine d’étudiantes et d’étudiants, de l’EPFL et de l’étranger. Trois hommes et trois femmes prendront le rôle des astronautes dans la base spatiale. Elle sera installée dans le site d’essai souterrain du Grimsel.

Vous sentez-vous suffisamment soutenue dans ces projets par l’environnement académique?

Oui. Le début d’Asclepios a été plus compliqué, car le projet ne rentrait pas vraiment dans les cases. Il s’agit d’une initiative bottom-up proposée par des étudiantes et étudiants. Avec ses nombreux composants globaux, elle se distingue des projets d’ingénieur plus typiques – comme construire une voiture, un drone ou une fusée… Mais cela a payé. Je perçois une vraie volonté de l’EPFL de trouver des solutions qui permettent de soutenir aussi ce genre de projets.

C’est-à-dire ?

D’un côté, offrir un certain soutien logistique et de conseils, par exemple sur le plan légal. D’un autre, faire en telle sorte que les étudiantes et étudiants puissent aussi faire créditer leur travail pour Asclepios. Nous identifions pour cela des projets scientifiques qui peuvent faire l’objet d’un travail de semestre ou de master, et discutons avec des professeures et professeurs qui pourraient les accompagner. 

Combien d’heures passez-vous sur Asclepios?

Difficile à dire… Peut-être une trentaine d’heures par semaine. 

Vos études en souffrent?

Un tel projet exige de faire des choix. Souvent, il passe avant mes études. Il ne concerne pas que moi mais des dizaines d’étudiantes et d’étudiants ainsi que de scientifiques, des partenaires, des financements… Comparé à ça, il ne me paraît pas si grave si mon master devait prendre une année de plus. Heureusement, les masters sont flexibles. Ceci dit, mes études vont très bien, avec de bonnes notes! 

Il ne faut pas oublier qu’une fois sur le marché du travail, ce seront les soft skills – le management de projet, la communication, le travail d’équipe, la résolution de problèmes diversifiés – qui compteront autant que la matière du cours elle-même. Ce qu’on apprend dans un projet comme Asclepios est très formateur, et je suis convaincue que les étudiantes et les étudiants qui travaillent avec nous trouveront facilement un stage ou un job après la fin de leurs études.
 

En pleine pandémie, Chloé Carrière lance le Galactic Chloé Show, un talk-show filmé à l’EPFL avec des personnalités du campus.

Quel conseil donneriez-vous à vos collègues qui s’intéressent à des projets en dehors des salles de cours?

N’hésitez pas à sortir des sentiers battus et à aller frapper aux portes! J’ai envoyé un email à l’astronaute Claude Nicollier sans vraiment avoir l’espoir qu’il me réponde. Mais il l’a fait en moins de deux heures! Pour moi, il faut avant tout ne pas se mettre des barrières – comme se dire que l’on ne peut pas faire ceci ou cela – et ne pas trop craindre d’échouer. Quand on étudie, notre objectif est d’apprendre. On a donc le droit à l’erreur. Mon redoublement en première année a constitué le premier gros échec de ma vie, mais jamais je ne le changerais!

Et que peuvent faire les institutions pour encourager des parcours tels que le vôtre?

Je ne suis pas sûre de pouvoir donner des conseils, ma vision est encore assez limitée… Je trouve très positif que l’EPFL promeuve de grands projets en les intégrant au cursus, notamment dans le cadre du programme MAKE (voir notre entretien «Il faut avant tout changer la culture»). Une idée serait de réduire un peu l’importance des cours théoriques pour laisser plus de place à d’autres projets dans lesquels on applique les connaissances acquises. Pour moi, ils apportent davantage de sens et de motivation. 

Et se montrer plus ouverts envers les jeunes qui se lancent dans la vulgarisation. J’ai parfois senti qu’on ne me prenait pas forcément autant au sérieux que des collègues plus expérimentés. Mais je dois dire que mon expérience reste très positive!
 

Notre série sur les étudiant·e·s et la science

Les étudiantes et les étudiants étudient, et les scientifiques publient. C’est le train-train des hautes écoles et des instituts de recherches.

Mais ces institutions veulent désormais encourager les parcours inhabituels: création de start-up, projets interdisciplinaires, compétitions internationales, vulgarisation scientifique. «Il faut éviter tout ce qui peut générer des résistances», confie Pascal Vuilliomenet, responsable du Discovery Learning Program de l’EPFL (voir notre entretien). Nous avons rencontré deux étudiantes et un chercheur qui ont créé leur propre chemin, à côté des salles de cours et des labos.