Unir les forces pour progresser dans la lutte contre le cancer

Depuis 2016, le Swiss Cancer Center Leman permet aux scientifiques et cliniciens de l’arc lémanique de se rencontrer, échanger et faire fusionner leurs idées pour proposer des approches toujours plus novatrices contre les cancers. Le centre, qui vient de renouveller son équipe de direction, regroupe les Universités de Genève et Lausanne, l’EPFL, et les deux hôpitaux, CHUV et HUG.
Les cinq étages de l'Agora font la part belle à la rencontre des spécialités et la fusion des idées© SCCL

Est-ce une bataille que les scientifiques et médecins mènent contre le cancer ? Un vocabulaire guerrier ponctue souvent les discussions autour de cette maladie, qui touche chaque année plus de 40 000 personnes en Suisse, et en emporte près de 17 000. Cette bataille compte son lot de victoires, au vu de la sensible diminution de la part des décès depuis trente ans. Mais les différents cancers restent l’une des principales causes de mortalité dans le monde. C’est une bataille « éminemment collective » que l’ensemble des corps de métiers de la médecine et des sciences de la vie doit mener, prévenait en 2021 le chef du département d’oncologie des HUG - aujourd’hui retraité -, Pierre-Yves Dietrich : « La prise en charge du cancer constitue aujourd’hui un défi tel que les compétences doivent dépasser le cadre parfois rigide des disciplines, des institutions, des infrastructures, des cantons. »

Sortir du cadre, c’est l’une des raisons d’être du Swiss Cancer Center Leman (SCCL), qui regroupe depuis 2016 une « alliance » des institutions lémaniques, à savoir les Universités de Genève et Lausanne, l’EPFL, et les deux hôpitaux, CHUV et HUG. En son sein, scientifiques en recherche fondamentale et translationnelle, cliniciennes, cliniciens et personnel soignant se rencontrent, échangent, font avancer la science et la médecine au bénéfice des patientes et des patients, principalement dans le domaine prometteur de l’immunothérapie. « Un laboratoire, un domaine d’expertise ne peuvent en aucun cas trouver, à eux seuls, des thérapies contre le cancer. La solution vient de la collaboration entre des personnes ayant des compétences différentes. C'est notre force dans l’arc lémanique, où se côtoient l'ingénierie et l'innovation, des médecins qui connaissent vraiment le problème clinique, et des biologistes qui comprennent comment une tumeur évolue et se comporte. La combinaison de ces trois expertises différentes, tout à fait unique dans ce domaine, renforce notre potentiel à innover », explique Elisa Oricchio, directrice de l’Institut suisse de recherche expérimentale contre le cancer (ISREC) à l’EPFL. Depuis octobre 2022, elle partage la direction du comité exécutif du SCCL avec Olivier Michielin, chef du Département d’oncologie des HUG, et Georges Coukos, Chef du Département d’oncologie UNIL-CHUV.

Le Centre de recherche translationnelle sur le cancer Agora, à Lausanne. © Fondation ISREC

La force du réseau

Pour concrétiser cette collaboration, un bâtiment, contemporain à la création du SCCL, a été mis à profit : le Centre de recherche translationnelle sur le cancer Agora, ouvert par la fondation ISREC en 2018 opportunément en face du CHUV. Les cinq étages de cet édifice ultramoderne font la part belle à la rencontre des spécialités et la fusion des idées. Dans la cafétéria, les blouses blanches des scientifiques et des médecins se mélangent, et sur les portes des bureaux se succèdent les affiliations : Unil, Unige, EPFL… Un regroupement d’institutions et de spécialités unique en son genre. « Ce bâtiment a été pensé pour aider l’interdisciplinarité. Il y a des zones de meetings à chaque étage, les labos sont ouverts, les benchs sont proches les uns des autres. Cela favorise les interactions », témoigne Denis Migliorini, responsable de l’unité de neuro-oncologie aux HUG, qui partage son temps entre l’hôpital genevois, où il s’occupe de patients atteints de tumeurs cérébrales, et son laboratoire à l’Agora où son équipe développe des thérapies cellulaires pour améliorer les techniques d’immunothérapies. Un véritable point de rencontre dont l’auditoire accueille fréquemment meetings, conférences et rapports de progression des groupes de recherche des institutions membres du SCCL.

Le Professeur Denis Migliorini dans son laboratoire de l'Agora, en février 2023. © Rémi Carlier, EPFL

La grande force du SCCL, c’est son réseau, physique et virtuel. Une fois par an, les investigateurs de Genève et Lausanne se réunissent lors d’un grand rassemblement auquel participent tant les étudiantes et étudiants en médecine que les doctorantes et doctorants, les internes et professeures et professeurs, pour présenter leurs travaux, interagir et ouvrir de nouvelles collaborations. C’est lors de la dernière retraite fin 2022 que Denis Migliorini a fait la rencontre de Nicola Vannini, responsable de recherche au Département d’oncologie fondamentale de l’Unil, et lancé avec lui un projet commun. « Nous avons eu beaucoup de chance de nous rencontrer, confie ce dernier. Je travaille sur le vieillissement des cellules souches et des cellules immunitaires, et je voulais tester comment ce vieillissement peut affecter les thérapies par cellules CAR-T, une technique d’immunothérapie étudiée par le laboratoire de Denis Migliorini mais dont je ne suis pas expert. Pour faire simple, il va trouver comment cibler la thérapie sur les tumeurs, et je vais essayer d’améliorer la capacité d’adaptation des cellules qu’il utilise. »

Les collaborations fructueuses sont nombreuses au sein du SCCL, à en voir les publications scientifiques inter-institutions qui ont découlé de ces collaborations. Denis Migliorini vient notamment d’obtenir un financement du Fonds national suisse avec les professeurs de l’EPFL Andrea Ablasser et Bruno Correia pour développer des cellules CAR-T qui ciblent l’immunité innée dans les tumeurs.

Booster le potentiel

La nouvelle équipe de direction du SCCL, qui coordonne les initiatives entre instituts, veut pousser encore plus loin le potentiel de ces interactions. « Nous réfléchissons à la manière de renforcer la collaboration entre l'EPFL, l'Unige et le CHUV au niveau clinique, explique Elisa Oricchio. L'idée est de coordonner le flot de données générées à l'hôpital et en laboratoire, et d’harmoniser et intégrer ces informations dans un service accessible aux cliniciens et scientifiques. Dans notre laboratoire, nous produisons par exemple beaucoup de données précliniques, qui peuvent être utilisées comme informations par les cliniciens au moment où ils doivent décider de la thérapie à utiliser pour différents patients, et vice-versa. Lorsque l'on parle d’échange de données cliniques aujourd’hui, c'est souvent compliqué, nous avons toujours des limites liées à des contraintes légales. Le cadre du SCCL peut faciliter le flux d'informations. »

Nicolas Vannini dans son laboratoire, en février 2023. © Rémi Carlier, EPFL

L’approche de la mise en commun des ressources et spécialités, hors du cadre des institutions, a largement fait ses preuves aux Etats-Unis. Genève et Lausanne ont décidé d’aller dans cette direction. « Plus nous pourrons rapprocher les cliniciens et les chercheurs fondamentaux, mieux ce sera pour les patients et pour le développement de nouvelles thérapies », affirme Denis Migliorini. « Je ne sais pas si nous gagnerons la bataille contre le cancer, car chaque tumeur est différente. Mais avec toutes les connaissances, les expertises que nous avons au SCCL, nous avons la possibilité de développer des thérapies qui pourront combattre efficacement le cancer, au lit de chaque patient », complète Nicolas Vannini.