«Nous sommes devenu·es plus réalistes»

Le Centre NADEL pour le développement et la coopération de l'ETH Zurich fête son 50e anniversaire. Nous nous sommes entretenu·es avec les codirecteur·ices du NADEL, Isabel Günther et Fritz Brugger, pour en savoir plus sur l'efficacité de la coopération au développement ainsi que sur les nouvelles missions du centre et ses projets d'avenir.
Isabel Günther, professeure à l'ETH Zurich, et Fritz Brugger dirigent conjointement NADEL. (Photo: Daniel Winkler / ETH Zurich)

Isabel Günther, Fritz Brugger, le Centre NADEL pour le développement et la coopération fête ses 50 ans. Comment la compréhension générale de l'aide au développement a-t-elle évolué depuis la création du centre?

Isabel Günther: Il y a une chose qui n'a pas changé depuis 50 ans: les flux d'aide internationale ne peuvent faire la différence que s'ils sont investis dans des programmes conçus en collaboration avec tous les acteurs concernés. C'est pourquoi le terme «coopération au développement» est plus approprié que celui d'aide au développement. Cependant, nous sommes devenu·es plus réalistes au fil des ans quant à ce que nous pouvons réaliser avec les subventions internationales: elles n'augmentent pas la croissance économique, mais peuvent améliorer la qualité de vie de la population générale. Heureusement, nous disposons aujourd'hui de beaucoup plus de données, ce qui nous permet de mieux comprendre quelles politiques de développement ont le potentiel de réussir. Ici, peu importe que ces politiques soient financées par l'aide étrangère ou par les propres recettes fiscales des pays.

Fritz Brugger: Notre compréhension a également changé dans le sens où d'autres domaines politiques, comme la politique climatique, commerciale ou fiscale de la Suisse, ont un rôle au moins aussi important à jouer dans la réalisation d'un monde plus juste. D'un point de vue financier, l'aide au développement est devenue moins importante - non pas parce que l'on dépense moins, mais parce que de nombreux pays ont connu un fort développement économique au cours des 30 dernières années.

Quels sont, selon vous, les plus grands défis auxquels l'aide au développement est actuellement confrontée?

Fritz Günther: Il reste à voir si le COVID-19 entraînera une augmentation ou une diminution de la coopération internationale. Tout le monde a pris conscience que la coopération internationale est essentielle pour relever les défis mondiaux, mais nous avons également constaté que de nombreux pays commencent à oublier la population mondiale en cas de crise. Un défi permanent dans la coopération au développement est la mesure dans laquelle les intérêts nationaux influencent la coopération internationale au développement.

Isabel Brugger: En outre, nous sommes confronté·es à la crise climatique du XXIe siècle, qui frappe le plus durement les pays les plus pauvres, alors qu'ils y ont le moins contribué. En tant que nations industrialisées, nous avons l'obligation de financer les mesures d'atténuation, mais ce faisant, nous ne devons pas négliger la lutte contre la pauvreté actuelle. C'est le plus grand défi politique du moment.

La coopération au développement n'échappe pas non plus à l'impact des transformations technologiques et de la numérisation. Quels changements devront être apportés pour suivre ces tendances?

Fritz Brugger: La numérisation offre de grandes opportunités, par exemple pour améliorer les services de santé, pour ouvrir l'accès aux services financiers ou pour donner des conseils agricoles plus efficaces. Nous ne sommes qu'au début de l'exploitation de ce potentiel. Mais la numérisation s'accompagne aussi de risques que nous devons absolument garder à l'esprit - le risque d'approfondir les dépendances existantes, d'accroître les inégalités, d'exclure les personnes qui ont moins accès à la technologie. Des études montrent que les femmes sont touchées de manière disproportionnée, même si elles vivent dans des zones urbaines.

L'efficacité de l'aide au développement est à nouveau un sujet brûlant suite aux récents événements dramatiques en Afghanistan.

Isabel Günther: C'est une tragédie que la liberté de tant de personnes, en particulier des femmes, soit à nouveau restreinte. Car en fin de compte, c'est de cela qu'il s'agit quand on parle de développement: la liberté des gens de mener une vie autodéterminée. Cela dit, il semble toutefois que la coopération au développement ait contribué à améliorer la qualité de vie du peuple afghan. La mortalité infantile a diminué de moitié au cours des vingt dernières années. Le nombre d'enfants scolarisés a augmenté. Tous ces progrès sociaux ne sont pas voués à disparaître. Et à l'heure actuelle, l'aide humanitaire internationale a un rôle décisif à jouer pour maintenir le système de santé en état de marche et prévenir la famine. Les événements actuels en Afghanistan montrent clairement, cependant, que le renforcement de l'État et des institutions par des puissances extérieures ne fonctionne pas toujours. Cette constatation n'est pas vraiment nouvelle, mais certains observateurs ont manifestement du mal à l'admettre.

Comment le travail de NADEL a-t-il évolué au cours des 50 dernières années?

Fritz Brugger: Lorsque le NADEL a été fondé - à l'époque il s'appelait INDEL - nous pensions que la coopération internationale et la lutte contre la pauvreté consistaient principalement à transférer des compétences techniques d'un pays à l'autre. C'est pourquoi le programme d'études - aujourd'hui le MAS ETH en développement et coopération - était de nature très technique. Mais l'orientation s'est progressivement élargie: l'utilisation durable des ressources naturelles et le changement climatique sont devenus des thèmes importants, suivis des inégalités mondiales et d'un intérêt croissant pour les questions politiques et sociales. Dans les années 1990, le NADEL a également introduit le CAS ETH Développement et Coopération, un programme destiné aux professionnel·les travaillant dans ce domaine afin d'actualiser en permanence leurs connaissances et leurs compétences dans cet environnement en mutation rapide.

Isabel Günther: Aujourd'hui, notre objectif est également de rapprocher les défis et les solutions du développement durable mondial d'un plus grand nombre de personnes en Suisse. Nous travaillons également en étroite collaboration avec ETH for Development (ETH4D), un réseau interne à l'ETH Zurich, pour internationaliser le programme d'études.

Quelles ont été les étapes importantes, de votre point de vue ?

Isabel Günther: La première étape a été franchie il y a 50 ans, lorsque le NADEL a créé un programme diplômant interdisciplinaire et transdisciplinaire par nature. Le NADEL était vraiment en avance sur son temps en reconnaissant que les grands défis mondiaux ne peuvent être relevés que par-delà les frontières. Tous les cours du NADEL sont dispensés selon des perspectives variées et impliquent des décideurs du gouvernement et de la société civile. Une dernière étape importante près de 50 ans plus tard: l'élargissement de notre offre de cours pour les personnes hors de Suisse et hors des organisations de développement traditionnelles. La réalisation de l'Agenda 2030 de l'ONU exige que tout le monde travaille ensemble: les gouvernements, les ONG, le secteur privé et les universités. C'est pourquoi nous avons également commencé à offrir au public suisse la possibilité d'en savoir plus sur la coopération internationale au développement, ce qui nous a incité·es à lancer le podcast «1,90 par jour», pour ne citer qu'un exemple.

Le NADEL est étroitement lié au Development Economics Group. Quel est l'axe de recherche?

Isabel Günther: Nous menons des recherches empiriques sur les technologies et les politiques qui permettent de lutter contre la pauvreté en Afrique. À cette fin, nous travaillons en étroite collaboration avec des chercheur·ses de différents pays comme le Ghana, le Burkina Faso, le Mozambique, le Bénin et l'Afrique du Sud. Voici deux exemples de projets de recherche en cours: actuellement, nous analysons comment la pandémie de COVID-19 au Ghana affecte l'accès des enfants aux vaccinations de routine comme le vaccin contre la polio. Il est essentiel d'avoir un accès sécurisé aux vaccinations de routine, même si, bien sûr, obtenir l'accès au vaccin COVID est le plus grand défi pour les pays africains en 2021. Ce défi est toutefois davantage une question politique. Un autre projet de recherche s'intéresse à l'utilisation du mercure pour l'extraction de l'or au Burkina Faso et à la manière de la réduire pour prévenir les empoisonnements. Environ 70% de l'or extrait dans le monde est raffiné en Suisse.

Quelle est votre relation personnelle avec NADEL?

Fritz Brugger: C'est très excitant de travailler à l'intersection entre la recherche et le monde réel, en particulier à une époque où la coopération internationale se transforme et fait intervenir de nouveaux acteurs. J'ai également bénéficié du fait d'avoir travaillé moi-même dans ce domaine pendant si longtemps et pour tant d'acteurs différents.

Isabel Günther: C'est incroyablement gratifiant de pouvoir façonner un programme d'études que les diplômé·es peuvent ensuite utiliser pour promouvoir la durabilité et la justice dans le monde entier. Nous sommes également en contact avec un grand nombre de nos ancien·nes élèves et nous apprenons beaucoup d'ell·eux.

Si NADEL n'existait pas, cela aurait-il un sens de le fonder à l'ETH Zurich aujourd'hui ?

Isabel Günther: Oui. Une coopération internationale efficace est tout aussi importante aujourd'hui qu'il y a 50 ans, ce que la pandémie de coronavirus a une fois de plus mis en évidence. Et même si, en 2021, le nombre de personnes vivant dans la pauvreté a considérablement diminué par rapport à il y a 50 ans, compte tenu de l'augmentation de la prospérité mondiale, il est difficilement justifiable qu'il y ait encore près d'un milliard de personnes vivant avec moins de 1,90 dollar par jour.

Fritz Brugger: Au cours des 50 dernières années, il est devenu encore plus important pour les praticien·nes d'avoir un lien étroit avec la recherche. Dans un monde qui évolue rapidement, il est important de disposer d'une recherche indépendante pour créer une base solide qui puisse être utilisée par les décideurs engagés dans le développement durable.

Quelle relation le NADEL entretient-il avec la Direction du développement et de la coopération (DDC)?

Fritz Brugger: Le MAS EPF Développement et Coopération est depuis le début un projet commun entre l'ETH Zurich et la DDC. Alors que l'ETH Zurich est responsable des deux semestres d'études, la DDC finance des projets sur le terrain pour nos étudiant·es. Nous invitons fréquemment des conférencier·es de la DDC à enseigner dans nos cours, et ce sont souvent d'ancien·nes étudiant·es du NADEL. Nous collaborons également avec la DDC lorsqu'il s'agit d'appliquer des résultats scientifiques dans le cadre de la coopération au développement.

Comment souhaitez-vous que le NADEL se développe à l'avenir ?

Isabel Günther: Pour les 50 prochaines années, j'aimerais que la coopération internationale pour la justice globale fasse partie de l'ADN de l'ETH Zurich. J'aimerais également voir un monde où personne ne souffre d'inégalité économique.

Fritz Brugger: Je ne pourrais pas être plus d'accord.

Les 50 ans du NADEL

Le Center for Development and Cooperation (NADEL) a été fondé à l'ETH Zurich en 1970. Avec un an de retard à cause de la pandémie de SARS-CoV-2, le NADEL célèbre aujourd'hui son 50e anniversaire par une série d'événements publics et de conférences. Sur le site web de l'anniversaire, vous trouverez de plus amples informations sur le programme prévu.

NADEL – Center for Development and Cooperation

Plus d'informations

Isabel Günther est professeure d'économie du développement et directrice académique du NADEL depuis 2014.

Fritz Brugger est le directeur exécutif du NADEL et responsable des programmes de formation continue de l'institut.