Biochimie et dépérissement des arbres

Depuis le dépérissement des forêts des années 1980, une grande attention est portée à la santé des forêts suisses. Mais les « thermomètres » utilisés pour l’état des arbres sont insuffisants. Une équipe de scientifiques menée par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL propose d’inclure les analyses biochimiques des cernes dans les programmes de suivi.
Il n'est pas si facile de déterminer si les arbres se portent bien ou mal. (Photo : Thomas Reich)

Lorsque le sapin et d’autres essences ont montré des signes de maladie ou de faiblesse à grande échelle au début des années 1980, forestiers et chercheurs ont d’abord été plutôt perplexes. La cause a été attribuée aux « pluies acides » qui déposaient des polluants atmosphériques en forêt et fragilisaient les arbres.

Le dépérissement des forêts à grande échelle prophétisé par les médias n’a certes pas eu lieu, mais le grand public et la communauté scientifique ont constaté que le mauvais état de santé de nombreux arbres. Il était donc urgent de réduire les émissions polluantes, de mesurer les dépôts atmosphériques dans les forêts et de suivre l’état des arbres. Des programmes de monitoring tels que Sanasilva et la recherche à long terme sur les écosystèmes forestiers LWF, gérés par le WSL, ont été lancés dans toute l’Europe.

La meilleure indication de l’état de santé des arbres

Pour évaluer la santé des arbres, on s’est basé sur différents symptômes selon la question abordée : avant tout, la défoliation (perte de feuillage), mais aussi la largeur des cernes annuels ou l’augmentation de la masse d’un arbre. Cependant, ces indicateurs ne sont pas assez fiables pour juger de la santé des arbres, estime aujourd’hui un trio de chercheurs dirigé par Paolo Cherubini, spécialiste des cernes des arbres à l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL, dans une synthèse parue dans Current Forestry Reports. « Même 50 ans après le dépérissement des forêts, il n’existe toujours pas de concept clair et universellement accepté pour évaluer la vitalité des arbres ou la santé des forêts », écrivent-ils.

Ils proposent donc des analyses de la composition biochimique des cernes comme « thermomètres ». « Les cernes nous renseignent non seulement sur la croissance passée des arbres, mais aussi sur les processus physiologiques », explique Paolo Cherubini. Or, ceux-ci diffèrent en fonction des conditions environnementales lors de la phase de croissance du cerne annuel.

Le stress environnemental est enregistré dans les cernes annuels

Les analyses proposées s’appuient sur le fait que le dioxyde de carbone (CO2), que les plantes absorbent dans l’air, contient des formes de carbone (C) et d’oxygène (O) de poids différents, appelés isotopes. Ceux-ci sont stockés dans le bois en quantités variables en fonction de la capacité de l’arbre à effectuer la photosynthèse. En cas de sécheresse grave, par exemple, les stomates, minuscules pores dans les feuilles ou les aiguilles par lesquels l’arbre « respire », se ferment pour limiter la transpiration. L’analyse isotopique permet de détecter ce déséquilibre chimique.

Les rapports isotopiques varient en fonction de facteurs tels que les conditions de lumière, la température, la disponibilité en eau et en nutriments, mais aussi les maladies, les insectes ravageurs, les extrêmes climatiques ou la pollution. Comme le bois est composé de cernes annuels sous nos latitudes, ces influences peuvent être datées en remontant assez loin. « Nous pouvons ainsi déterminer si un arbre a subi un stress environnemental dans le passé », explique Paolo Cherubini. Les coûts ayant fortement diminué ces dernières années, « nous recommandons que l’analyse isotopique des cernes des arbres soit intégrée dans les programmes de monitoring de la santé des forêts. »

Les responsables des programmes de monitoring du WSL ont prêté une oreille attentive à cette demande, avec toutefois quelques réserves. Afin d’évaluer rapidement l’état des arbres, la défoliation et la mortalité sont des symptômes significatifs et faciles à enregistrer, explique Peter Brang, qui se consacre à la définition de la santé des arbres depuis les années 1990. Arthur Gessler, biogéochimiste pour le programme de recherche LWF, ajoute : « Les isotopes des cernes sont une très bonne variable complémentaire pour évaluer la vitalité des arbres. » Cependant, ils ne peuvent pas remplacer d’autres analyses. Il reste en effet à déterminer le moyen de standardiser le prélèvement de carottes annuelles dans toute l’Europe afin que les données soient comparables, et à vérifier si les coûts ne sont pas trop élevés.

Paolo Cherubini conclut que l’analyse isotopique des cernes fournit des indicateurs prometteurs de la vitalité des arbres et permet d’identifier les facteurs qui l’influencent. Elle aurait également le grand avantage d’ouvrir une fenêtre sur le passé.

Contact

Prof. Dr. Paolo Cherubini
Senior Scientist
paolo.cherubini(AT)wsl.ch
+41447392278
Eidg. Forschungsanstalt WSL
Zürcherstrasse 111
8903 Birmensdorf