Deux lacs, sept espèces de corégones
La grande richesse spécifique des lacs de l'Oberland bernois
Parmi les lacs originellement les plus riches en espèces, le lac des Quatre-Cantons et les lacs de l'Oberland bernois ont été le moins touchés par l'eutrophisation. Avec, respectivement, six et sept espèces recensées dans chacun d'eux, ils comptent encore aujourd'hui parmi les plus riches en corégones au monde.
Au moins six des espèces recensées dans l'Oberland bernois sont apparues après les dernières glaciations, il y a 12 000 ans. L'origine de la septième est plus complexe. En effet, cette espèce a connu une hybridation avec des corégones du lac de Constance introduits à des fins de repeuplement dans les lacs de Thoune et de Brienz au cours du XXe siècle. Oliver Selz et des scientifiques de l'Eawag et de l'Institut de recherche sur l'écologie et l'évolution de l'université de Berne, rassemblés autour du spécialiste de l'évolution et de la biologie des poissons Ole Seehausen, viennent maintenant de décrire ces sept espèces, dont quatre pour la toute première fois.
Quatre descriptions inédites
Le «Brienzlig» (Coregonus albellus), le «Balchen» (Coregonus alpinus) et le «Felchen» (Coregonus fatioi) avaient ainsi déjà été décrits. Le Brienzlig et le Balchen – la plus petite et la plus grande des espèces – l'avaient été dès 1885 par le zoologiste genevois Victor Fatio. Ces espèces sont toutes trois présentes aussi bien dans le lac de Thoune que dans celui de Brienz.
Le «Kropfer», corégone des profondeurs du lac de Thoune, a été appelé «Coregonus alpinus» pendant les vingt dernières années conformément au guide des poissons d'eau douce européens de Kottelat. Or il est apparu que le livre se référait indubitablement à un spécimen conservé au Muséum d'histoire naturelle de Genève et décrit par Fatio en tant que «Balchen». Les scientifiques ont donc décidé de restituer au Balchen le nom de «Coregonus alpinus» que Fatio lui avait déjà attribué en 1885 et de redécrire le Kropfer, désormais nommé «Coregonus profundus». Tout récemment, en 2018, les biologistes ont découvert une nouvelle espèce qu'ils ont provisoirement appelée «Balchen 2» en raison de sa ressemblance avec le Balchen. En l'honneur du spécialiste des corégones Paul Steinmann, ils lui ont donné le nom latin de «Coregonus steinmanni». En poursuivant leurs études, les biologistes ont constaté que le Balchen 2 du lac de Brienz appartenait à une autre espèce que de celui découvert dans le lac de Thoune. S'agissant de la seule espèce endémique du lac de Brienz, ils l'ont baptisé «Coregonus brienzii». L'«Albock» (Coregonus acrinasus) a également fait l'objet d'une description inédite.
Un nom bien connu mais pour un nouveau poisson
Le terme d'«Albock» appartient au langage familier germanique depuis le Moyen-âge. Dans les anciens documents, factures et autres règlements, ce nom désigne les grands corégones du lac de Thoune, dont beaucoup migraient de façon récurrente dans l'Aar où ils étaient pêchés en très grand nombre. «On ne sait pas exactement ce que cette espèce est devenue», avoue Oliver Selz, premier auteur de l'étude. C'est avec le «Felchen» actuel (C. fatioi) que les spécimens de ce corégone migrateur conservés depuis le XIXe siècle ont le plus de ressemblance.«Les Albocks au museau pointu d'aujourd'hui, qui ne sont fréquents dans les filets des pêcheurs de l'Oberland que depuis la fin du XXe siècle, sont le fruit d'une hybridation récente : génétiquement, ils sont fortement apparentés aux corégones du lac de Constance, qui ont été introduits dans les lacs de l'Oberland au XXe siècle, tout comme aux autres corégones du lac de Thoune». Certains aspects restent à éclaircir : pourquoi le rempoissonnement en corégones a-t-il laissé des traces dans le lac de Thoune mais pas dans celui de Brienz ? À quelle espèce convient-il de rattacher l'ancien Albock ? Ces questions feront l'objet de nouveaux projets de recherche et les biologistes s'attendent à de nouvelles surprises dans les fonds lacustres de l'Oberland bernois.
Paul Steinmann (1885-1953)
Paul Steinmann (1885-1953) – chercheur, enseignant, consultant, président Le zoologiste Paul Steinmann conclut ses études de sciences naturelles effectuées à Bâle et Munich par une thèse sur « la faune des ruisseaux de montagne » qu'il réalise sous la direction de Friedrich Zschokke et soutient brillamment en 1907. Après des séjours d'études à Naples et Trieste et une brève expérience de privat-docent de zoologie à l'université de Bâle (1908), il est nommé maître d'histoire naturelle à l'école cantonale d'Aarau en 1911, poste auquel cet enseignant dans l'âme reste fidèle jusqu'à son départ à la retraite en 1953. Cofondateur et directeur du Musée d'histoire naturelle et régionale d'Aarau (ouvert en 1922), il préside la Société argovienne des sciences naturelles de 1923 à 1928. Que ce soit en tant que Président de la Fédération suisse de pêche (1931-1945) et de rédacteur de la Schweizerische Fischerei-Zeitung ou dans ses activités de recherche et d'expertise, cet hydrologue internationalement connu s'engage très tôt pour la protection des milieux aquatiques et pour le respect des habitats piscicoles dans les projets d'aménagement des cours d'eau. Il réunit une importante collection de poissons qui, tout d'abord léguée à l'Eawag, est aujourd'hui gérée par le Musée d'histoire naturelle de Berne et sert énormément à la recherche en ichtyologie. Une exposition a maintenant été organisée pour la présenter au public. Sa «Monographie der schweizerischen Koregonen», publiée en 1950, est, depuis des générations, un ouvrage de référence pour la recherche sur la diversité des corégones des lacs préalpins. Depuis l'étude parue cette semaine dans ZooKeys, une espèce de corégone découverte en 2018 dans l'Oberland bernois porte le nom de Paul Steinmann (Coregonus steinmanni). Références : Dictionnaire historique de la Suisse et Hommage dans les Mitteilungen der aargauischen Naturforschenden Gesellschaft Vol. 25 (1958), p. 224-228.