Les arbres peuvent «hériter» de souvenirs environnementaux

Au cours de leur vie, les arbres peuvent non seulement s’adapter rapidement à de nouvelles conditions, mais aussi transmettre à la génération suivante cette «mémoire» d’un environnement modifié. Les chercheurs de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL ont pu démontrer pour la première fois cette surprenante capacité. Ces résultats font espérer que les arbres pourront mieux résister au changement climatique que ce que l’on redoutait – et ce, malgré leurs longues générations.
Ces plants proviennent de géniteurs qui ont été irrigués de 2003 à 2013, puis exposés aux conditions naturelles de 2014 à 2016 (marques bleues). Par rapport aux autres plants de l’expérience, ils ont toujours présenté une croissance moyenne. (Photo : Ulrich Wasem, WSL)

Le réchauffement actuel de la planète est trop rapide pour que des organismes à longue durée de vie, comme les arbres, puissent s’adapter génétiquement à de nouvelles conditions d’existence. Un tel processus évolutif prend en effet plusieurs générations. Mais heureusement, les arbres, à l’instar des autres plantes, peuvent réagir de manière très flexible à leur environnement, par exemple en renforçant leurs racines en cas de sécheresse, et en multipliant leurs feuilles pour une meilleure croissance lorsque les conditions sont favorables. Ces adaptations à l’environnement ne sont cependant pas transmises à leur progéniture ; celle-ci n’hérite, grâce aux gènes, que de la même capacité d’adaptation.

Depuis de nombreuses années, le dogme affirmait donc que les acquis de l’arbre sont perdus pour la génération suivante. Ce n’est qu’au cours des dernières années qu’ont été découverts chez les animaux, et aussi chez les êtres humains, des mécanismes qui permettent de transmettre à la progéniture des réactions à l’environnement. Il s’agit de petites molécules, appelées groupes méthyles, qui s’accrochent aux briques de l’ADN et ont une influence sur l’expression plus ou moins marquée de certains gènes. Ces configurations de groupes de molécules se transmettent aux descendants par les ovules, le sperme ou le pollen.

Une « hérédité » sans gènes

Pour la première fois, les chercheurs du WSL ont démontré que cette capacité existait également chez les arbres, non pas au niveau moléculaire, mais en en constatant les effets. Pour ceci, l’équipe de chercheurs a tiré profit d’une expérimentation d’irrigation à long terme du WSL. Dans la forêt de Finges en Valais, où les pins poussent dans des conditions extrêmement sèches, les scientifiques du WSL irriguent certaines parcelles forestières depuis 2003. Dans quelques-unes d’entre elles, l’irrigation a été à nouveau arrêtée après 10 ans. Cette expérimentation de longue durée offre un contexte parfait pour étudier les adaptations à des conditions sèches et humides.

L’équipe, réunie autour de Arun Bose, chercheur postdoctoral, a collecté les cônes des arbres-mères pour y prélever les graines. Une partie des jeunes plantes a germé en serre dans différentes conditions d’alimentation en eau, de lumière et de température. L’autre partie a été semée dans la forêt de Finges sur les trois types de parcelles – non irriguées, irriguées depuis 2003 ou seulement jusqu’en 2013.

Les résultats dans les serres ont été sans équivoque : les descendants des arbres habitués à la sécheresse se sont mieux développés avec peu d’eau, car ils ont constitué une masse racinaire plus importante. Mais avec un arrosage suffisant, la progéniture des arbres des parcelles irriguées avait pris de l’avance car elle avait fabriqué plus d’aiguilles. Quant aux semis dont les parents avaient subi un arrêt d’irrigation en 2013, leur développement se situait exactement entre les deux autres groupes.

« Il s’agit de la première démonstration que des arbres peuvent transmettre des informations environnementales à leurs descendants, qui tirent ainsi mieux leur épingle du jeu face aux conditions qu’ils affronteront », résume Arthur Gessler, le responsable du groupe Écologie des écosystèmes au WSL qui a dirigé l’étude. « Les descendants sont préparés dès le début à ce qui les attend. » Pour éviter que certains arbres aient d’autres avantages, par exemple de plus grandes réserves d’énergie, les chercheurs avaient pris soin de sélectionner des graines de même poids.

Un entraînement pour le génome

Arthur Gessler dépeint le processus de la méthylation de l’ADN comme « une sorte d’entraînement pour le génome ». Le potentiel génétique est le même chez tous les individus, mais grâce à la méthylation, le patrimoine génétique « sait » quels gènes améliorent la chance de survie et doivent être exprimés à plein régime dès le début de la croissance. S’agit-il vraiment chez les arbres de ce mécanisme moléculaire ? Des chercheurs d’autres institutions vérifient actuellement cette hypothèse.

Ce potentiel d’adaptation a cependant des limites, comme la démontré l’été extrêmement sec et chaud de 2018, au cours duquel se sont déroulées les expériences de terrain dans la forêt de Finges. Car de nombreuses jeunes pousses sont mortes, quel que soit leur géniteur. « Les pins vivent dans la forêt de Finges à la limite sèche de leur aire de répartition », souligne Arthur Gessler. C’est pourquoi, si le climat devient encore plus chaud et plus sec à l’avenir, même des tactiques intelligentes de méthylation ne pourront pas arrêter à long terme la mortalité des pins en Valais.