La recherche avec l'être humain, pilier du progrès scientifique

A l’EPFL, le progrès scientifique passe aussi par des études sur l’être humain. Plusieurs laboratoires de recherche conduisent des essais cliniques avec des volontaires, dont le but est de répondre à des questions de santé ou d’étudier le fonctionnement du corps humain. Focus sur les travaux du Professeur Friedhelm Hummel, qui cherche à développer des thérapies post-AVC.
Depuis son AVC en 2019, François R. participe à différents programmes de recherche du laboratoire Hummel à la Clinique romande de réadaptation de Sion. © Jamani Caillet, EPFL 2021

Confortablement installé face à un écran d’ordinateur, François R. se concentre. Lorsque la phrase « main à la bouche avec une saisie » apparait, il parvient, lentement, à porter ses doigts à proximité de ses lèvres. Un effort particulièrement important : suite à un Accident vasculaire cérébral (AVC) en août 2019, le Valaisan de 70 ans s’est retrouvé paralysé de l’épaule à la jambe droites. Coiffé d’un bonnet d’électroencéphalogrammes, d’où émergent des dizaines de fils, c’est par la force de sa volonté et avec l’aide d’un algorithme informatique qu’il contrôle le gant robotique dont il est équipé. S’il a peu de chances de retrouver complètement son autonomie à court terme, c’est pour une toute autre raison qu’il effectue ces tâches, sous l’œil attentif d’une scientifique : faire avancer la recherche. « Le principe est de voir si, grâce à un traitement basé sur cet outil thérapeutique, on peut avoir une meilleure récupération motrice suite à un AVC », explique Meltem Oflar, spécialiste technique du laboratoire Hummel de l’EPFL.

Depuis déjà deux ans, François R. participe à différents programmes de recherche du laboratoire installé à la Clinique romande de réadaptation de Sion, spécialisé dans la neuroscience translationnelle et l’étude des troubles neurologiques (dont font partie les AVC). « Pour moi c’est bénéfique, ça ne fait pas de mal : il n’y a que du positif. Après l’AVC, mon côté droit était complètement paralysé, je n’arrivais plus à causer non plus. On se dit alors : soit on s’accroche, soit on se laisse aller. Et ça m’a fait du bien de venir à la clinique de la Suva pour ça. »

Recrutement de volontaires

Chaque année en Suisse, près de 16 000 personnes sont victimes d’un AVC, une affection particulièrement grave : avec un taux de mortalité de 20%, c’est la troisième cause de décès dans le pays, après les maladies cardiovasculaires et les cancers. Mais aussi, seules 15 à 20 % des personnes atteintes ne gardent aucune séquelle après la rémission. Pour les autres, des troubles moteurs et/ou cognitifs plus ou moins invalidants peuvent persister.

«Je voyais ça dans le but d’aider les autres, qui venaient après moi.»      François R., patient du Laboratoire Hummel de l'EPFL

Si les facteurs favorisant la survenue d’un AVC sont de mieux en mieux connus (âge, hérédité, hypertension, tabac, excès de cholestérol…), le processus de récupération chez les patients gravement atteints reste largement incompris, comme souvent avec les maladies touchant le cerveau. Le laboratoire Hummel cherche notamment à mieux comprendre comment apparaissent les troubles suite à un AVC, et à identifier des informations qui permettraient potentiellement de prédire l’évolution du patient à court, moyen et long terme. « Certains patients sévèrement atteints montrent une récupération naturelle, d'autres non. L'hypothèse est que les traitements doivent être différents pour les patients des différentes groupes (c’est le principe de la personnalisation), et que l'intensité du traitement est très importante pour le processus de récupération. Nous sommes aujourd’hui encore très loin de ce qui devrait être fait », précise le Professeur Friedhelm Hummel.

Pour étudier le cerveau, le Laboratoire Hummel de l'EPFL utilise un scanner IRM, qui permet d'observer les interactions entre les différents réseaux neuronaux. © Jamani Caillet, EPFL 2021

La compréhension de ces processus et la mise au point de thérapies passe par la recherche, d’abord fondamentale, puis clinique. Pour les différents programmes d’étude du laboratoire Hummel, le recrutement des patients se fait en grand partie grâce à l’excellente collaboration avec les médecins du Centre Hospitalier du Valais Romand (HVS) et de la Clinique romande de réadaptation (CRR).

Les membres de l’équipe Hummel ont en effet accès aux patients de ces deux centres, l’un spécialisé dans la phase aigüe des AVC avec son Unité cérébrovasculaire, et l’autre spécialisé dans les thérapies de réadaptation. Pour chaque participant potentiel, les critères d’inclusion et d’exclusion sont vérifiés et discutés avec les équipes médicales. A la fin, le patient est approché. « Nous parlons avec les patients, directement ou avec leurs proches, et leur expliquons ce que nous voulons faire, pourquoi, quel est l'objectif et ce qu'ils peuvent en attendre. Ils décident ensuite s'ils veulent participer ou non », dit Friedhelm Hummel. C’est le cas de François R., qui a été approché suite à son AVC peu de temps après son réveil à l’HVS. « Je n’ai pas tout de suite accepté quand ils sont venus. Mais leur démarche est vraiment bien, donc j’ai vite dit oui. Je voyais ça dans le but d’aider les autres, qui venaient après moi. On m’a dit dès le départ qu’il pouvait y avoir une amélioration pour moi, mais que c’était surtout pour les prochains atteints d’un AVC. Alors je suis parti dans le programme. »

Licence extrêmement précise

Les études du groupe du professeur Hummel, comme de nombreuses autres menées par différents laboratoires de l’EPFL, entrent dans la catégorie des essais cliniques, qui font souvent suite aux études pré-cliniques, conduites grâce aux modèles informatiques, de cultures de cellules, ou avec des modèles animaux. Le but de ces essais est de répondre à des questions de santé ou d’étudier la structure et le fonctionnement du corps humain dans des conditions expérimentalement contrôlées (par exemple pour la recherche de traitements innovants). De tels projets de recherche ne peuvent être réalisés sur des personnes que si des résultats équivalents ne peuvent pas être obtenus autrement. Une demande d’autorisation extrêmement précise doit être soumise au préalable à la commission cantonale d'éthique de la recherche sur l’être humain, gérée par l’organisation Swissethics, qui s’assure qu’aucun abus ne puisse se produire, et valide ou non le projet.

«Pour nos études sur les maladies aiguës, la plupart des patients approchés acceptent de participer.»      Professeur Friedhelm Hummel

Selon la Constitution suisse, la participation à des études scientifiques ne peut se faire que sur une base volontaire et après avoir été suffisamment informé. La loi exige en outre que la recherche sur l’être humain tienne compte de la protection de la dignité et de la personnalité des participants aux essais.

« Pour nos études sur les maladies aiguës, la plupart des patients approchés acceptent de participer, mais ils viennent d’avoir un AVC, et ne sont pas dans une situation facile psychologiquement. Ils ont d'autres choses en tête, mais néanmoins nous avons déjà inclus environ 80 patients pour l’une de nos études commencée il y a deux ans », continue Friedhelm Hummel.

« J’ai dit oui tout de suite »

Dans une pièce attenante à celle de François R., isolée pour bannir les artefacts électromagnétiques, une patiente participe à un autre projet de recherche du laboratoire, TiMeS, visant à étudier les modifications des fonctions cérébrales qui se produisent après un AVC. Coiffée aussi d’un bonnet d’électrodes, mais pas de gant robotique : dans cette étude, le patient ne doit pas bouger. Sur l’écran de contrôle, une ligne correspond à chacun des 64 électrodes qui enregistrent spontanément l’activité du cerveau. « Oh punaise ! » S’exclame la patiente en voyant l’ampleur du « bruit » occasionné sur les lignes après un simple clignements d’yeux.

Un scientifique du Laboratoire Hummel stimule le cortex moteur de sa patiente pour créer une contraction musculaire dans l’avant bas. Cela permet d'enregistrer la réponse des muscles au niveau de tous les electrodes. © Jamani Caillet, EPFL 2021

Grâce à des tests effectués une semaine, trois semaines, trois mois et un an après l’AVC, les scientifiques cherchent à différencier les patients selon leur degré de récupération, à trouver les mécanismes qui sous-tendent celle-ci, et à identifier des éventuels marqueurs indiquant si un patient récupèrera bien ou pas. TiMeS est une étude observationnelle, première étape d’un long processus de recherche, et à ce titre ne prévoit pas des traitements à proprement parler. Ce qui n’a pas fait reculer la patiente, approchée, elle aussi, après son réveil à l’hôpital de Sion.

« J’ai dit oui tout de suite, mais ils m’ont encore donné 24 heures pour y réfléchir, avec des documents à lire tranquillement. Je trouve ça très bien, surtout si ça débouche sur quelque chose qui peut aider les autres, qui n’ont pas aussi bien récupéré que moi. Quand je me suis réveillée, ce qui m’a gênée c’était de voir l’état dans lequel j’étais, pas la venue du scientifique. Le premier jour je ne pouvais pas boire, j’avais des problèmes pour parler. A ce moment, si quelqu’un était arrivé et m’avait dit avoir des solutions pour m’aider, ça aurait été génial. Quand ils auront fini l’étude, ça ne me servira sûrement plus trop, mais l’AVC ça peut toucher tout le monde, ça ne prévient pas. Donc pour ce genre de choses, il faut faire évoluer la science. »