Du sang neuf dans l'assistance cardiaque avec une aorte artificielle

Des scientifiques de l’EPFL et de l'université de Berne ont implanté avec succès — in vivo — leur premier muscle artificiel tubulaire, pour améliorer l’aorte et aider le cœur à maintenir la circulation sanguine. Ces résultats leur valent huit millions de francs supplémentaires sur huit ans de la Fondation Werner Siemens, pour développer des muscles artificiels destinés à traiter des affections humaines.
© 2021 EPFL / Yoan Civet. Thierry Carrel et Yves Perriard avec le dispositif cardiaque.

En janvier de cette année, des scientifiques de l’EPFL présentaient dans Advanced Science un nouveau concept de dispositif d’assistance cardiaque dépourvu d’éléments métalliques rigides. Il s’agit d’un muscle artificiel, souple, enroulé autour de l’aorte. Il peut contracter et dilater le vaisseau pour améliorer les fonctions naturelles de l’aorte, et aider le cœur à pomper du sang vers le reste du corps.

Récemment, sous la direction de Yves Perriard du laboratoire d’actuateurs intégrés, et en collaboration avec l’Université de Berne, les scientifiques sont parvenus à implanter leur premier muscle artificiel tubulaire in vivo, dans un porc. Pendant l’opération d’une durée de quatre heures, leur dispositif d’assistance cardiaque a maintenu 24 000 pulsations, dont 1500 activées artificiellement par l’aorte améliorée.

Cette prouesse a permis de lever 8 millions de francs supplémentaires — 12 au total — auprès de la Fondation Werner Siemens, pour développer des muscles artificiels en général. « Nous venons à peine d’accomplir une première mondiale et de fournir une preuve de concept en implantant avec succès notre dispositif cardiaque dans un porc vivant, explique Yves Perriard. Nous sommes ravis de passer au stade suivant du projet grâce au soutien de la Fondation Werner Siemens. »

A la fin 2017, les scientifiques s’étaient vu promettre une donation de 12 millions de francs par la Fondation Werner Siemens pour établir un Centre de muscles artificiels à l’EPFL. La somme devait être allouée sur la base d’avancements scientifiques, telle cette dernière preuve de concept.

Les fonds supplémentaires serviront aux prochaines étapes du projet, qui inclut le développement de muscles artificiels pour d’autres affections humaines. Par exemple, un sphincter artificiel pour résoudre des problèmes d’incontinence, en collaboration avec l’Université de Berne, ou un dispositif pour rétablir le contrôle des expressions faciales avec l’Université de Zürich.

Une nouvelle génération de technologies cardiaques

Les technologies cardiaques actuelles requièrent de connecter le cœur directement à une pompe via une chirurgie invasive. De plus, les pompes conventionnelles exploitent des systèmes mécaniques rigides, dont une hélice, afin de maintenir la circulation sanguine. Cela détruit les globules rouges, ce qui rend cette solution peu durable.

Le nouveau dispositif cardiaque des scientifiques de l’EPFL n’agit pas immédiatement sur le cœur, mais sur l’aorte. Le principe implique le placement autour de l’aorte, près de la valve aortique, d’un actionneur élastomère diélectrique (DEA, pour dielectric elastomer actuator) — un polymère qui transforme l’énergie électrique en mouvements mécaniques. En appliquant une tension électrique sur le dispositif, l’actuateur contracte et dilate l’aorte. Il agit comme un muscle tubulaire, qui imite le fonctionnement naturel de l’aorte.

« Notre aorte artificielle imite la manière dont les vaisseaux sanguins se contractent et se relâchent pour propulser le sang dans le système circulatoire. La différence, c’est que l’action naturelle de l’aorte est passive, causée par la pression sanguine, alors que notre dispositif répond à une source externe d’électricité, explique Yoan Civet du Laboratoire d’actuateurs intégrés de l’EPFL. Grâce à notre aorte artificielle, le cœur utilise moins d’énergie pour faire circuler la même quantité de sang. »

Yoan Civet poursuit : « Notre DEA n’est pas une pompe autonome. Ses fonctions sont maintenues par la pression artérielle fournie par le cœur. En retour, le DEA assiste le cœur et le rend plus efficace pour pomper le sang. » Yves Perriard précise : « Notre dispositif est minimalement invasif, parce qu’il n’est pas en contact direct avec le cœur. En principe, il préserve également les globules rouges grâce à l’absence de composants rigides métalliques, contrairement aux approches traditionnelles. »

De nombreux défis en perspective

Yves Perriard et son équipe se réjouissent du succès de leur projet, mais ils n’en restent pas moins conscients de ses limites. Par exemple, la version actuelle de leur DEA, placée sur l’aorte, est dépourvue d’éléments métalliques. Mais elle comporte encore des composants plastiques rigides pour connecter le dispositif à l’aorte.

De même, le DEA devrait idéalement se placer autour de l’aorte — cela reste encore à faire. Selon les scientifiques eux-mêmes, il leur faut trouver un procédé d’implantation qui n’implique pas d’incision de l’aorte. « La solution réside peut-être dans une manière de faire adhérer l’aorte à notre dispositif », explique Yves Perriard.