Le fossé entre matériaux naturels et artificiels se réduit

Résilients et flexibles, la peau ou les cartilages présentent des propriétés difficiles à imiter. Des scientifiques de l’EPFL s’approchent un peu plus de la nature avec une nouvelle méthode de fabrication des polymères.
© 2020 EPFL

Tendons, peau ou cartilages présentent une combinaison unique de résistance et de rigidité. Ces matériaux naturels peuvent supporter notre poids et nos mouvements, tout en tenant bon face aux fissures. Ces qualités semblent aller de soi, mais elles restent hors de portée pour de nombreux matériaux artificiels. A l’EPFL, des scientifiques ont mis au point une méthode pour manufacturer des polymères composites dont les caractéristiques s’approchent un peu plus des tissus naturels. Ils décrivent leur matériau flexible et résilient comme décrit dans la révue Advanced Functional Materials. Leur innovation pourrait être exploitée dans le domaine de la robotique souple, ou servir au développement de prothèses de cartilage.

D’ordinaire, les matériaux hydrogels synthétiques sont de deux types bien distincts. Les premiers sont durs et résistent aux charges, comme le verre ou certains polymères. Mais ils n’absorbent pas très bien l’énergie: la moindre fissure se propage dans leur structure. Les seconds résistent bien à la propagation des fissures, mais ils sont extrêmement souples. Si souples, en fait, qu’ils ne peuvent pas soulever des poids importants.

Or, certains matériaux naturels résistent à la fois aux charges et à la propagation des fissures. Ces composites — ils sont constitués de divers matériaux et protéines, dont le collagène — présentent une structure organisée avec précision de l’échelle nanométrique à l’échelle millimétrique. Par exemple, ce sont des fibres entortillées en des structures plus grandes, lesquelles s’ordonnent à leur tour en d’autres structures, et ainsi de suite.

«Un peu comme du sable et de l’eau dans un seau.»      Esther Amstad

« Nous sommes encore très loin de pouvoir contrôler la structure des matériaux sur une telle diversité d’échelles », explique Esther Amstad, auteure principale de l’étude et professeure en matériaux à l’EPFL. Pour autant, ses doctorants Matteo Hirsch et Alvaro Charlet sont parvenus à s’inspirer de la nature. Plus précisément, ils ont imité ses procédés pour assembler les éléments constitutifs des matériaux.

« La nature procède en encapsulant des briques de base dans des compartiments qu’elle relâche de manière locale, pour un meilleur contrôle de la structure du matériau final, explique Esther Amstad. Nous avons suivi le même chemin, en construisant des compartiments pour nos briques de base, et en les assemblant en superstructure. »

Première étape, les chercheurs encapsulent des monomères dans des gouttelettes d’émulsion d’eau et d’huile. Ces gouttelettes tiennent lieu de compartiment. A l’intérieur, les monomères se lient pour former un réseau de polymères. A ce moment, les microparticules sont stables, mais les interactions sont encore faibles. Le matériau ne tient pas encore très bien ensemble, « un peu comme du sable et de l’eau dans un seau », explique Esther Amstad.

Comme des éponges, ces microparticules sont extrêmement poreuses. Les scientifiques les imbibent avec un autre type de monomère, puis ils concentrent le tout. Ils obtiennent une sorte de pâte.

Ils impriment ensuite cette pâte en 3D. Les monomères sont polymérisés sous une lampe UV et s’enchevêtrent avec les polymères formés pendant la première étape. La pâte se solidifie.

Le matériau final présente des propriétés remarquables en termes de résistance et de rigidité. Les scientifiques ont montré qu’un tube de trois millimètres de diamètre peut supporter jusqu’à 10 kilos en traction et 80 kilos en compression, sans le moindre dommage structurel.

© 2020 EPFL

Cette innovation pourrait être exploitée dans le domaine de la robotique souple, où l’on cherche à combiner les propriétés des tissus vivants. La méthode pourrait également servir au développement de prothèses de cartilage, à condition d’utiliser des matériaux de base biocompatibles.