Un robot dirigé par la pensée

Deux groupes de recherche de l’EPFL ont développé un programme informatique d’apprentissage machine connecté au cerveau. Il permet au robot d’ajuster son comportement en fonction des impulsions cérébrales qu’il reçoit. Cette découverte se destine à fournir plus d’autonomie aux personnes souffrant de tétraplégie.
© Alain Herzog 2021 EPFL

Impossible de parler et encore moins d’effectuer le moindre mouvement. La tétraplégie rend les personnes qui en souffrent prisonnières de leur propre corps. Aude Billard, professeure et directrice du laboratoire d’algorithmes et systèmes d’apprentissage de l’EPFL, ainsi que José del R. Millán, directeur du laboratoire d’interface cerveau-machine de l’EPFL, cherchent depuis de nombreuses années des solutions concrètes pour restituer un peu d’autonomie à ces individus entièrement paralysés. «Les personnes atteintes d’une lésion de la moelle épinière présentent souvent des déficits neurologiques permanents et des handicaps moteurs graves, qui les empêchent d’effectuer les tâches quotidiennes les plus simples, comme saisir des objets. L’assistance des robots peut permettre aux patients de récupérer une partie de leur dextérité perdue en laissant un appareil robotique réaliser ces tâches à leur place», déclare-t-elle.

Les deux groupes de scientifiques ont développé un programme informatique qui contrôle un robot grâce aux courants électriques émis par le cerveau. Plus besoin de commande vocale ou digitale, la simple pensée suffit. Cette recherche est publiée dans la revue Nature Communications Biology.

Éviter les obstacles

Pour leurs expériences, Aude Billard, José del R. Millán et les scientifiques de leurs équipes ont recouru à un bras articulé développé il y a déjà plusieurs années. Ce robot peut effectuer des parcours de gauche à droite et inversement, déplacer des objets se trouvant dans son champ d’action ou encore les éviter. «Notre robot a été programmé pour esquiver un obstacle, mais nous aurions aussi pu décider d’une toute autre opération telle que remplir un verre d’eau, pousser ou tirer quelque chose, par exemple», explique Aude Billard.

Les chercheurs ont voulu affiner cette opération, qui consiste à dévier un objet, et la rendre plus précise. «Pour certains, l’itinéraire qu’a choisi le robot se révèle trop large tandis que pour d’autres, elles se révèlent trop proches de l’objet à contourner. Comme le but de ce robot est d’aider les personnes paralysées, il nous fallait un moyen de communiquer entre elle et le robot qui soit non verbale, et qui n’implique aucun mouvement», explique Carolina Gaspar Pinto Ramos Correia, doctorante.

Un algorithme pour apprendre de la pensée

Les scientifiques ont donc développé un algorithme pour modifier le comportement du robot par la seule pensée. Un bonnet muni d’électrodes capables de produire un électroencéphalogramme (EEG) enregistre les pensées de l’utilisateur. L’utilisateur n’a rien besoin de faire. Il doit simplement regarder le robot. S’il n’est pas satisfait de son comportement, son cerveau émet un signal d’erreur repérable et identifiable, comme s’il voulait dire «Non, cela ne me convient pas». Ce dernier comprend alors que ce qu’il réalise est faux. Sans savoir exactement ce qui s’avère erroné. Est-ce qu’il passe trop proche de l’obstacle ou au contraire trop loin? Ce signal d’erreur est alors employé par un algorithme de renforcement inverse, qui peut identifier ce que souhaitait l’utilisateur et comment modifier le comportement pour mieux satisfaire l’utilisateur. Pour vérifier que ses déductions sont correctes, le robot va effectuer des tests. Pour parvenir à un comportement qui satisfait l’utilisateur, le robot se montre très rapide. Entre trois et cinq essais lui suffisent à comprendre et à s’adapter au plus près de la volonté de la personne paralysée. «Le robot, doté d’intelligence artificielle, peut apprendre rapidement mais il lui faut découvrir quand il a commis des erreurs pour les corriger. La détection du signal d’erreur a constitué un véritable défis technique», affirme José del R. Millán. «Le défi de ce travail était de relier l'activité cérébrale au contrôle du robot, en d'autres termes, de traduire les signaux du cerveau en actions pour le robot. Pour y arriver, nous utilisons l'apprentissage automatique afin d’identifier l'activité cérébrale liée à une tâche spécifique. Ensuite, nous associons ces informations aux actions du robot pour adapter le mouvement du robot aux préférences de l'utilisateur», déclare Iason Batzianoulis, premier auteur de la recherche.

Un fauteuil roulant dirigé par le cerveau

Sur le long terme, les chercheuses et chercheurs désirent intégrer cet algorithme à un fauteuil roulant. «Aujourd’hui, il reste encore des défis d’ingénierie qui ne sont pas résolus. Avec un fauteuil roulant la difficulté se montre plus importante, puisque le corps et le robot sont en mouvement», explique Aude Billard. Les scientifiques souhaitent aussi combiner leur algorithme avec un robot qui peut percevoir plusieurs signaux différents dans le but de coordonner les données obtenues par le cerveau avec celles de la motricité visuelle.