Maître en neuromodulation

Stanisa Raspopovic relie le monde numérique des capteurs et des circuits électriques avec le système nerveux et ses circuits cellulaires. Il est désormais le lauréat du prix Latsis 2021 de l'ETH Zurich.
Stanisa Raspopovic fait la démonstration d'une chaussette parsemée d'électrodes qui transmet au système nerveux les signaux tactiles provenant de capteurs situés sous la semelle. (Photo: ETH Zurich / Daniel Winkler)

La passion de Stanisa Raspopovic pour le cerveau, le système nerveux et les neurotechnologies est née pendant ses études de premier cycle en génie électrique à Pise. «À l'époque, j'ai lu un magazine scientifique qui expliquait les recherches menées sur des singes capables de contrôler des bras robotisés grâce à la puissance de leur pensée et à la mesure des ondes cérébrales», se souvient-il.

Stanisa Raspopovic a grandi à Belgrade et à Pise, avec l'amour du basket et de la science. Aujourd'hui professeur assistant à l'ETH Zurich, il peut se targuer d'avoir réalisé de nombreuses percées dans le domaine de l'interface entre le corps et la machine. Les plus connues sont les neuroprothèses pour amputé·es au-dessus du genou qu'il a développées avec son équipe. Ces prothèses de jambe sont reliées aux nerfs de la cuisse des patientes et patients par des électrodes implantées. Ces électrodes transmettent des informations aux porteuses et porteurs de la prothèse à partir de capteurs situés sur la plante du pied prothétique, de sorte qu'ils et elles peuvent sentir quand leur pied touche le sol - ce qu'ils et elles n'ont pas pu faire depuis leur amputation. «Cela nous permet d'aider les patientes et patients à mieux marcher et à réduire leur douleur fantôme», explique Stanisa Raspopovic. Pour ses travaux, il a reçu le prix Latsis de l'ETH Zurich (voir encadré).

(Vidéo: ETH Zurich)

Unir deux mondes

Connecter un dispositif électronique et des nerfs entre eux est extrêmement complexe, comme l'explique Stanisa Raspopovic. Pendant les années où il a rédigé sa thèse de doctorat, également à Pise, puis à Barcelone et à l'EPFL à Lausanne, il a utilisé de nombreuses simulations informatiques, complétées ensuite par des modèles animaux, pour étudier comment combiner au mieux ces deux mondes différents.

«C'est précisément cette interdisciplinarité entre l'informatique, l'électrotechnique, la neurobiologie, la recherche animale et les études cliniques menées en collaboration avec des médecins qui rend notre recherche possible - et qui la rend si intéressante pour moi et pour toutes les personnes impliquées», déclare Stanisa Raspopovic. Il pense que les frontières entre les disciplines scientifiques traditionnelles sont de plus en plus fluides, et il se voit comme un scientifique à l'interface entre diverses disciplines et, en fin de compte, comme un neuroingénieur.

Dans les cellules nerveuses, les informations sont transmises par des atomes chargés (ions), tandis que les circuits des appareils électroniques fonctionnent avec des électrons. Le point commun de ces deux systèmes est qu'ils peuvent être influencés par un champ électrique. «Pour communiquer avec les nerfs, nous modulons le champ électrique», explique Stanisa Raspopovic. Cela peut se faire de différentes manières, et dans les recherches précédentes, le scientifique a pu montrer que la modulation de la charge en fonction du temps est particulièrement efficace, contrairement à la modulation de la fréquence, une méthode que les chercheuse et chercheurs avaient utilisée auparavant. En outre, Stanisa Raspopovic a optimisé la géométrie des électrodes implantées afin de manipuler avec précision des fascicules nerveux individuels plutôt que des nerfs entiers.

Des bases à l'application

Depuis ses études de maîtrise, Stanisa Raspopovic s'intéresse à des questions fondamentales: Comment percevons-nous le monde avec nos cerveaux? Comment comprenons-nous notre conscience de soi et où se trouve-t-elle physiquement? Comment pouvons-nous connecter le système nerveux aux machines? Comment pouvons-nous décoder les informations que nous recevons du système nerveux de cette manière? Et, idéalement, le manipuler à des fins de réadaptation?

Les questions qui l'inspirent aujourd'hui, et auxquelles il contribue à répondre en tant que chercheur, sont de nature tout aussi fondamentale: «Nous essayons de comprendre comment notre système nerveux réagit à des appareils artificiels, tels que des dispositifs et des capteurs qui lui sont reliés par des électrodes», explique-t-il. Il s'agit de découvrir comment le système nerveux intègre et traite ces informations, ou comment ces informations provenant de capteurs externes affectent la conscience et l'inconscient. «Nous collaborons avec des psychologues et des neuroscientifiques sur ce sujet», explique Stanisa Raspopovic. «Car, ce n'est que lorsque nous comprendrons mieux cela que nous pourrons améliorer les interfaces entre les appareils et le corps.»

Passion, persévérance et une bonne équipe

Ses travaux de recherche plus récents ont également porté sur la neurostimulation. Parmi les exemples, citons le traitement de la paralysie faciale par la stimulation électrique précise des nerfs faciaux ou le traitement de l'engourdissement et de la douleur des pieds dus à des lésions nerveuses, comme c'est le cas chez de nombreuses patientes et nombreux patients diabétiques. À ces fins, Stanisa Raspopovic ne travaille pas avec des électrodes implantées, mais avec des électrodes appliquées sur la peau, par exemple dans une chaussette spécialement conçue. «Dans ces projets aussi, nous devons d'abord utiliser des modèles informatiques réalistes et l'intelligence artificielle. Cela nous aide à comprendre quelles électrodes nous devons utiliser à quel endroit précis, et quelle politique de stimulation dans ce type de chaussette», explique-t-il.

Ce qui est remarquable dans les recherches de Stanisa Raspopovic, écrit la Commission de la recherche de l'ETH Zurich lors de l'attribution du prix Latsis 2021 de l'ETH Zurich, c'est qu'il a développé toutes ses innovations, dont certaines ont déjà été testées avec succès sur des personnes, à partir de zéro. «De nombreuses découvertes semblent faciles rétrospectivement», dit-il. «Mais souvent, c'est tout sauf simple». Nombre des défis qui se présentent sont de nature technique - par exemple, lorsqu'une électrode ou un câble se casse quelque part, mais qu'on ne le découvre que plus tard. De même, il est souvent nécessaire de travailler tard le soir, par exemple pour préparer l'équipement pour les tests cliniques, ou pour rédiger des propositions de recherche à soumettre avant une date limite.

Maîtriser tout cela demande beaucoup de persévérance, dit Stanisa Raspopovic. Selon lui, il y a finalement trois choses qui mènent au succès: la passion, la persévérance et une bonne équipe. «Ces trois éléments sont essentiels et se renforcent mutuellement», dit-il. Il est fier de son équipe, composée de personnes jeunes et motivées, toutes animées par la passion. Et tout comme la passion favorise l'esprit d'équipe, celui-ci favorise la persévérance. Pour que personne n'abandonne en désespoir de cause lorsqu'une électrode ou un câble se casse.

Le prix Latsis de l'ETH Zurich

Créée en 1975 grâce à une dotation de l'armateur grec Giannis Latsis, la Fondation Latsis finance plusieurs prix scientifiques suisses, dont le prix Latsis annuel de l'ETH Zurich, qui honore de jeunes chercheuses et chercheurs exceptionnels dans toutes les disciplines. D'une valeur de 25'000 CHF, le prix est remis chaque année par la rectricer lors de la Journée des EPF.

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