Une flore appauvrie met en danger les insectes

Lorsque la diversité des plantes décline, celle des insectes en pâtit, et avec elle la biodiversité dans son ensemble. Dans les prairies et les pâturages exploités de manière intensive, ainsi que dans les forêts sombres de hêtres, les insectes spécialisés dans un petit nombre d’espèces végétales disparaissent avec leurs plantes nourricières. C’est ce que montre une étude internationale coordonnée par l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL.
La cistèle jaune (Cteniopus sulphureus) se nourrit du pollen de diverses plantes. Photo : Felix Neff / WSL

L’exploitation accrue des sols constitue une menace importante pour la biodiversité, notamment pour les insectes herbivores et leurs plantes hôtes. Les coléoptères, les sauterelles, les punaises ou les cigales spécialisés sur une espèce végétale unique, ou sur un très petit nombre d’entre elles, doivent migrer sous peine de s’éteindre localement lorsque leurs plantes hôtes disparaissent. En revanche, si un insecte se nourrit d’une large gamme d’espèces, il pourra survivre, même si la flore décline. L’interaction d’espèces appartenant à différents groupes d’organismes s’avère donc cruciale pour la stabilité d’un écosystème.

Ces interactions entre plantes et insectes ont été examinées par des scientifiques de plusieurs institutions en Allemagne et en Suisse, sous la direction de l’Institut fédéral de recherches sur la forêt, la neige et le paysage WSL. Le projet a été financé par le Fonds national suisse de la recherche scientifique (FNS) dans le cadre du programme prioritaire « Biodiversitäts-Exploratorien » de la Deutsche Forschungsgemeinschaft (DFG). Les auteurs ont considéré la diversité des plantes et des insectes, ainsi que leurs interactions, dans les trois espaces naturels allemands du Jura souabe (Bade-Wurtemberg), de Hainich (Thuringe) et de Schorfheide (Brandebourg). En étudiant des prairies et des pâturages soumis à diverses intensités d’exploitation, ainsi que des forêts de hêtres et de conifères gérées de différentes manières, ils ont voulu mieux comprendre les interactions entre les espèces de plantes et d’insectes qui constituent des réseaux locaux. Les espaces naturels étudiés, dont la superficie peut atteindre 1 300 kilomètres carrés, sont représentatifs d’un nombre suffisant de modes d’exploitation pour assurer que les résultats soient statistiquement fiables.  

Dans les zones comportant à la fois des écosystèmes quasi naturels et d’autres, exploités modérément à très fortement, les scientifiques s’attendaient à trouver des communautés d’insectes très différentes. « Comme certaines de ces zones abritent des espèces d’insectes spécialisées dans des espèces rares de plantes nourricières, nous espérions obtenir de nouvelles informations sur les conséquences d’une exploitation intensive pour la stabilité écologique des prairies et des forêts », explique Martin Gossner, entomologiste au WSL et responsable de l’étude. Au total, les chercheurs ont enregistré 531 espèces de plantes et 1053 espèces d’insectes ainsi que leur fréquence sur 289 placettes d’échantillonnage à long terme.

Des communautés d’insectes plus stables grâce à une grande diversité végétale

L’étude a montré que les réseaux plantes-insectes dans les prairies peu pâturées comprenaient au moins 70 espèces de plantes et 80 espèces de coléoptères, de sauterelles, de punaises et de cigales herbivores. Par exemple, la carotte sauvage, une plante typique des pâturages d’exploitation modérée, nourrit de nombreuses espèces de coléoptères spécialisés. En revanche, sur les prairies et pâturages fréquemment fauchés ou fertilisés, en moyenne à peine 40 espèces de plantes et 60 à 70 d’espèces d’insectes ont pu être observées.

Dans les forêts non exploitées depuis peu, avec une couverture arborée dense, la biodiversité est avec une moyenne de 25 espèces de plantes et 30 espèces d’insectes nettement plus faible que dans les forêts clairsemées. Les insectes qui ne se nourrissent que de quelques espèces d’arbres ou de plantes ne peuvent y survivre. En revanche, dans les forêts présentant de nombreuses trouées dans la canopée, une grande quantité de lumière atteint le sol, et on y trouve jusqu’à 80 espèces de plantes et 50 espèces d’insectes herbivores des groupes étudiés. « La lumière favorise la diversité des plantes, qui à leur tour fournissent de la nourriture à un plus grand nombre d’espèces d’insectes. Ces dernières sont alors moins menacées d’extinction locale, ce qui rend le système plus stable », explique Felix Neff, chercheur au WSL, auteur principal de l’article qui vient d’être publié dans la revue Science Advances. On peut citer l’ortie, exemple de l’effet stabilisateur des forêts où pénètre la lumière, et qui constitue une source de nourriture pour de nombreuses espèces spécialisées : chenilles de papillons, charançons, cigales et punaises. « En tant que doctorant, cette recherche me fascine non seulement en raison des grands espaces riches en espèces que nous étudions, mais aussi de la collaboration fructueuse avec les nombres groupes de recherche interdisciplinaires », souligne Felix Neff.

Des résultats transposables en Suisse

Si l’on favorise les forêts plus clairsemées, non seulement la diversité de la végétation au sol, des arbustes et des arbres augmente, mais aussi celle des espèces d’insectes qui profitent de cette diversité. Les peuplements mélangés d’arbres à feuilles caduques et de conifères sont également bénéfiques et devraient en outre se révéler plus stables face à l’avancée du changement climatique. Si, au contraire, la diversité des plantes diminue, celle des insectes recensés chute également, et avec elle la biodiversité globale. C’est ainsi que s’appauvrissent ces écosystèmes.

Pour les prairies, les scientifiques recommandent un pâturage modéré plutôt qu’un fauchage intensif afin de favoriser la diversité et la stabilité des communautés d’insectes. « Ces résultats peuvent être transposés à la Suisse, par exemple au Plateau, au Jura ou aux Préalpes à basse altitude », déclare Martin Gossner. « L’objectif du projet Exploratorien était dès le départ de pouvoir tirer des conclusions applicables à différentes régions d’Europe ».