Comment les traumatismes façonnent les cellules de notre cerveau

Boursier de l'ETH Zurich, Rodrigo Arzate-Mejia étudie comment les expériences de vie traumatisantes affectent le cerveau, en se concentrant sur les changements épigénétiques dans les cellules cérébrales.
Né au Mexique, Rodrigo Arzate-Mejia est chercheur au département des sciences et technologies de la santé de l'ETH Zurich depuis 2020. (Image : ETH Zurich / Stefan Weiss)

Négligence, événements calamiteux ou même maltraitance : les expériences traumatisantes vécues dans l'enfance augmentent le risque de maladies mentales et physiques et peuvent entraîner des troubles psychiatriques plus tard dans la vie. Mais comment des événements stressants survenus tôt dans la vie affectent-ils durablement les fonctions cérébrales ? Que se passe-t-il dans les cellules nerveuses d'un·e enfant lorsque la peur et le stress submergent ses mécanismes normaux d'adaptation ?

«Aujourd'hui, nous pensons que les expériences sont stockées suite à des changements dans les connexions entre les cellules du cerveau. Mais ce qui se passe exactement au niveau moléculaire dans ces cellules reste un mystère», explique Rodrigo Arzate-Mejia, boursier de l'ETH Zurich, qui a passé la majeure partie des douze derniers mois à mener des recherches dans le laboratoire de neuroépigénétique dirigé par Isabelle Mansuy - professeure à l'ETH Zurich et à l'Université de Zurich.

Plus que la somme de nos gènes

Avec l'avènement de la génétique, la vision selon laquelle nos gènes déterminent qui nous sommes a dominé la biologie pendant des décennies. Cependant, les nouvelles connaissances acquises grâce au séquençage du génome ont clairement montré que cette vision était trop rigide. Pour de jeunes biologistes comme Rodrigo Arzate-Mejia, à qui nous avons parlé virtuellement en raison des restrictions liées au coronavirus, le déterminisme génétique des années 1990 n'est plus tenable : «Il existe désormais des preuves solides que les facteurs environnementaux tels que le milieu social dans lequel nous vivons, notre alimentation ou l'exercice physique affectent à la fois notre génome et l'activité de nos gènes.»

La façon dont ces facteurs externes agissent sur notre génome est de moduler l'épigénome, qui est un ensemble de marques biochimiques sur ou autour de notre ADN. Contrairement à l'ADN, dont la séquence est fixe, il peut être modifié par un environnement changeant. Les mécanismes épigénétiques sont nécessaires pour lire et interpréter l'ADN. «Sans eux», explique le postdoc de l'ETH Zurich, «les gènes ne sont rien de plus qu'un code brut. Tout comme une partition sans musicien·ne pour l'interpréter».

La modification de l'épigénome par l'environnement est une façon d'expliquer pourquoi des vrai·es jumelles ou jumeaux - qui partagent le même matériel génétique - peuvent différer physiquement et dans leur caractère. En fonction de leurs expériences et de leurs conditions de vie, il·les peuvent présenter de légères différences dans le niveau et le moment de l'activité de certains de leurs gènes, qui s'accumulent avec le temps et modifient progressivement leurs traits.

Il est frappant de constater que l'environnement peut également modifier l'épigénome des cellules germinales. Ces dernières années,Isabelle Mansuy et son équipe ont montré chez la souris que les conditions de vie peuvent laisser des traces épigénétiques dans nos gènes qui peuvent être transmises d'une génération à l'autre par les cellules germinales. Par exemple, un comportement dépressif dû à un traumatisme dans l'enfance peut être hérité au même titre que la couleur des yeux ou la stature physique.

Architecture génomique

Rodrigo Arzate-Mejia avait 16 ans lorsqu'il a entendu parler pour la première fois de l'épigénétique. Après avoir obtenu la deuxième place aux Olympiades nationales de biologie, organisées par l'Académie mexicaine des sciences et destinées à contribuer à la promotion des élèves talentueux·ses du secondaire, il a assisté à une conférence sur la génétique moléculaire. Depuis, le sujet le fascine. «C'était la première fois que j'entendais dire que toutes les cellules contiennent le même ADN, bien qu'ayant des fonctions très différentes en raison de mécanismes épigénétiques divergents et de l'interaction avec leur environnement.»

La question de la régulation des gènes l'a fasciné tout au long de ses études à l'Universidad Nacional Autónoma de México, à Mexico. Après des séjours de recherche à l'Université Johns Hopkins, au Marine Biological Laboratory du Massachusetts et à l'Université Emory, Rodrigo Arzate-Mejia a obtenu son doctorat en 2020. Pour sa thèse, il a appliqué diverses méthodes innovantes issues des domaines de la biologie moléculaire, de la génétique et de la bioinformatique pour démontrer le rôle crucial joué par l'architecture génomique dans la régulation de l'activité du génome.

L'ADN d'une cellule mesure environ deux mètres de long. Bien qu'il soit emballé dans le noyau, il a encore de la place dans ce minuscule espace pour modifier sa structure. La manière dont les gènes sont actifs et les gènes qui le sont dépendent donc de la disposition spatiale de l'ADN dans le noyau. De plus, l'ADN peut former des boucles qui permettent à certains gènes d'autres parties du génome d'être isolés dans des boucles de chromatine. «Comme certains gènes sont très importants et doivent être étroitement contrôlés, ils reçoivent leur propre espace dans le noyau de la cellule à l'intérieur de ces boucles», explique le postdoc de l'ETH Zurich. En reconnaissance de ses découvertes, Rodrigo Arzate-Mejia s'est vu décerner le prix Weizmann de la meilleure thèse en sciences naturelles par l'Académie des sciences du Mexique. La thèse a également été publiée dans la revue scientifique Nature Communications.

La base moléculaire des expériences traumatiques

Après avoir terminé ses études doctorales, Rodrigo Arzate-Mejia a décidé de se spécialiser en neuroépigénétique. Il est fasciné par les cellules nerveuses : «Contrairement aux autres cellules, les neurones ne subissent pas de division cellulaire ultérieure. Ils intègrent une grande quantité d'informations, s'adaptent en permanence à leur environnement et sont donc utiles pour étudier comment les expériences sont stockées au niveau moléculaire.» La recherche sur les changements épigénétiques dans le cerveau n'en est également qu'à ses débuts. Pour Rodrigo Arzate-Mejia, il s'agit d'un domaine de recherche idéal pour étendre ses connaissances de l'architecture génomique au domaine des processus cognitifs.

C'est un coup de chance pour lui qu'un poste de postdoc se soit ouvert en 2019 auprès d'Isabelle Mansuy, une pionnière dans ce domaine : «Je n'aurais pas pu espérer un meilleur endroit pour travailler sur mes recherches actuelles», souligne-t-il. Son déménagement à Zurich a été retardé en raison de la pandémie de coronavirus, mais pour le reste, tout s'est bien passé grâce aux efforts de toutes les personnes concernées.

Cellules nerveuses traumatisées

Pour comprendre comment les expériences traumatiques affectent les neurones, Rodrigo Arzate-Mejia travaille avec des souris de laboratoire, qui sont particulièrement adaptées en tant qu'organismes modèles et fournissent des informations applicables à l'humain·e.

Rodrigo Arzate-Mejia explique le dispositif expérimental : «Nous soumettons les souris à des conditions qui simulent les traumatismes de l'enfance chez l'humain·e. Une fois les animaux devenus adultes, nous testons leur comportement et leurs performances cognitives et étudions leurs cellules cérébrales à la recherche d'éventuels changements épigénétiques persistants.» Il insiste sur le fait que les expériences sur les animaux sont menées avec beaucoup de soin et dans des conditions extrêmement strictes et réglementées, et soumises à l'accomplissement de cours obligatoires. «Sans les animaux, la recherche sur les conséquences des traumatismes ne serait pas possible. Nous les traitons avec le plus grand respect.»

Les premiers résultats de la recherche suggèrent que les gènes qui jouent un rôle clé dans les fonctions cognitives sont effectivement protégés par des boucles de chromatine dans les cellules du cerveau. Toute modification de la structure de l'ADN provoquée par le stress et compromettant cette protection pourrait altérer l'activité de ces gènes en les faisant interagir de manière non spécifique avec leur environnement génomique. Pour le postdoc de l'ETH Zurich, ces résultats sont très prometteurs : «Bien que mon travail n'en soit qu'à ses débuts, je pense que ce mécanisme nous permettra de mieux comprendre comment les expériences traumatiques laissent leur empreinte sur les cellules du cerveau.»