La protection du climat profite à l'économie

Alors que les impacts économiques de la politique climatique sont généralement perçus comme des coûts, Anthony Patt propose la perspective inverse. Il constate que, pour la Suisse, la conversion du système énergétique et la réalisation de l'objectif «zéro émission» peuvent avoir un effet positif net sur l'économie.
L'adoption d'un système d'énergie renouvelable sera-t-elle plus coûteuse que le maintien du statu quo? (Photo : William W. Potter / AdobeStock)

Jusqu'à récemment, il semblait que la transition vers les énergies propres aurait un coût économique net, en grande partie parce que les systèmes d'énergie renouvelable, y compris leurs besoins de stockage d'énergie, coûtent et continueront de coûter un peu plus cher à construire et à exploiter que les systèmes à base de combustibles fossiles.

Le Groupe d'expertes et experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), par exemple, a prévu que la croissance économique serait réduite d'environ 0,04% par an.1 Pour mettre cela en perspective, une personne gagnant 100'000 CHF gagnerait 102'000 CHF l'année prochaine avec une croissance économique de 2%, mais seulement 101'960 CHF avec une politique climatique forte. Une étude récemment publiée par l'Office fédéral de l'énergie suisse est parvenue à une conclusion similaire.2 Pour justifier une transition vers des énergies propres pour des raisons économiques, il faudrait prendre en compte les avantages économiques liés à la prévention d'une catastrophe climatique.

Certaineset certains ont toutefois des raisons de croire que la transition vers les énergies propres pourrait nous être bénéfique sur le plan économique, même sans tenir compte des impacts évités du changement climatique.

Les modèles d'évaluation intégrée (MEI) sur lesquels le GIEC et bien d'autres se sont appuyés pour prévoir les coûts économiques de la protection du climat partent du principe que les gens investiront toujours dans le choix d'approvisionnement énergétique le moins coûteux à un moment donné, et que la principale politique que le gouvernement utilisera pour orienter une part toujours plus grande des investissements vers les technologies à faible émission de carbone est une taxe carbone croissante. Avec ces hypothèses, les MEI prévoient très peu d'investissements dans les technologies renouvelables plutôt coûteuses - auparavant, il s'agissait de l'énergie solaire et éolienne, aujourd'hui, ce sont des choses comme le carburant d'aviation neutre en carbone - jusqu'à ce que la taxe sur le carbone soit suffisamment élevée pour créer l'incitation nécessaire.

Ces modèles prévoient également que la taxe sur le carbone devra être assez élevée pour inciter à investir dans ces technologies plus coûteuses. Cela peut entraîner une hausse substantielle des prix à la consommation dans le secteur concerné, ce qui freine l'activité économique et la croissance.

Des prévisions de coûts fondées sur des données empiriques

Mais la réalité a été très différente. Les investissements dans l'énergie solaire et l'énergie éolienne ont été bien plus importants que ce que prévoyaient les précédents MEI, et les réductions de coûts associées bien plus importantes. En outre, les politiques climatiques à l'origine de ces changements n'ont pas été principalement des taxes sur le carbone, mais plutôt des subventions et des réglementations3. Ces dernières ont tendance à avoir un impact plus faible sur les prix de l'énergie à la consommation, ce qui peut avoir un effet de distorsion moindre. Quels seraient les effets économiques si nous supposions que ces tendances se poursuivent ?

Au sein de l'Energy Science Center de l'ETH Zurich, nous avons examiné cette question dans l'optique de la conversion du système énergétique de la Suisse et de la mise en œuvre de l'objectif net zéro.4 Compte tenu des investissements prévus dans le secteur de l'électricité ici et dans les pays voisins, nous avons simulé les prix du marché de l'électricité et les flux commerciaux internationaux. Nous n'avons pas supposé une hausse des prix de l'énergie induite par les taxes, mais plutôt une poursuite des politiques énergétiques actuelles. Nous avons ensuite comparé les coûts énergétiques à l'horizon 2040 dans le cadre de scénarios alternatifs visant à achever la décarbonisation du secteur énergétique suisse, suivant différentes hypothèses sur l'intégration future de la Suisse dans le marché européen de l'électricité.

Scénario: intégration stable

Premièrement, nous avons supposé la poursuite de l'intégration de la Suisse dans le réseau électrique européen. Notre simulation de marché a suggéré que la Suisse continuerait à exporter de l'électricité en été et à en importer en hiver, et qu'il y aurait une légère augmentation des importations nettes d'électricité. Les prix de l'électricité baisseraient, mais nos dépenses nationales globales en électricité augmenteraient d'environ 0,5 milliard de francs suisses, car nous en utilisons davantage, remplaçant d'ici 2040 la majeure partie du pétrole et du gaz naturel actuellement utilisés pour le transport et le chauffage. La diminution de l'utilisation des carburants nous permettrait à son tour d'économiser environ 2,5 milliards de francs, même en tenant compte des coûts supplémentaires des e-carburants neutres en carbone pour l'industrie et l'aviation. Le résultat net serait une économie annuelle d'environ 2 milliards de francs d'ici à 2040, soit environ 200 francs par Suissesse et Suisse, par rapport à aujourd'hui.

Scénario: échanges limités d'électricité

Dans un second scénario, nous avons supposé que la Suisse ne parvenait pas à négocier les traités nécessaires pour rester sur le marché européen de l'électricité, ce qui entraînerait une réduction de la capacité de transport international. Nous devrions investir davantage dans la production nationale d'énergie renouvelable, en particulier pour les mois d'hiver. Par rapport au premier scénario, le coût de l'électricité serait environ 40% plus élevé. Compte tenu des économies réalisées sur les combustibles fossiles, nous verrions toutefois le coût total de l'énergie diminuer.

Nos résultats4 n'ont pas encore été examinés par des pairs et publiés, mais ils sont cohérents avec d'autres résultats qui le sont, comme ceux que des chercheuses et chercheurs de l'-université d'Oxford ont publiés le mois dernier.5 Comme nous, ils et elles ont supposé la poursuite des politiques actuelles pour parvenir à un changement dans le système énergétique. Elles et ils ont prévu qu'en 2030, les coûts énergétiques attendus du scénario «zéro émission» seraient légèrement inférieurs à ceux d'un scénario sans transition, et qu'ils seraient inférieurs de 20% en 2040.

«Même pour les défenseuses et défenseurs de la croissance économique, la décarbonisation rapide devrait être attrayante maintenant.»      Anthony Patt

Bien que ni notre équipe ni celle d'Oxford n'aient traduit les économies de coûts énergétiques en variations de la croissance annuelle du PIB mondial, il est probable que la croissance économique serait plus rapide - et non plus lente - dans le cadre du scénario zéro émission net, en raison de la baisse des coûts et des prix de l'énergie.

Une petite différence avec des changements de paramètres

Grâce à l'utilisation de cadres de modélisation améliorés et de meilleures données, les deux séries de résultats récents montrent que la protection du climat est susceptible d'être une situation gagnante pour l'économie et l'environnement, plutôt qu'un compromis.

Certes, les effets positifs sur l'économie sont faibles, et la motivation première d'une action agressive en faveur du climat reste probablement le souci de l'avenir de la planète, plutôt que celui de nos comptes en banque. Pourtant, l'impact apparaît comme un avantage économique, plutôt que comme un coût. Même pour les défenseuses et défenseurs de la croissance économique, une décarbonisation rapide devrait être attrayante maintenant.