Analogique & numérique : deux mondes réunis en un système

La fusion de semi-conducteurs 2D et de matériaux ferroélectriques pourrait conduire au traitement à la fois numérique et analogique de l’information avec pour conséquence une amélioration de l’efficacité énergétique et des performances des appareils électroniques.
© 2023 Sadegh Kamaei / Titouan Veuillet / EPFL

Nous vivons dans un monde analogique caractérisé par des flux continus d’information que notre cerveau traite et enregistre en même temps, alors que nos appareils traitent l’information numériquement sous la forme de codes binaires discrets en fractionnant les données en bits. Des scientifiques à la Faculté des sciences et techniques de l'ingénieur de l’EPFL ont dévoilé une technologie d’avant-garde associant le potentiel du traitement analogique continu à la précision d’appareils numériques. D’après l’étude publiée dans Nature Electronics, l’intégration harmonieuse des semi-conducteurs bidimensionnels ultra-fins à des matériaux ferroélectriques permet de réduire la consommation d’énergie et de déployer de nouvelles fonctionnalités informatiques. La nouvelle configuration allie la logique numérique traditionnelle à des opérations analogiques similaires à celles réalisées par le cerveau humain.

Produits électroniques plus rapides et plus efficaces

L’innovation du Laboratoire des dispositifs nanoélectroniques (Nanolab), qui collabore avec le Laboratoire des microsystèmes, porte sur une combinaison unique de matériaux qui mène à des fonctions qui s’inspirent du cerveau et à des interrupteurs électroniques avancés, y compris le transistor à effet tunnel avec capacitance négative (TFET). Dans l’univers de l’électronique, un transistor peut être comparé à l’interrupteur d’une lampe, qui détermine si le courant circule (allumé) ou non (éteint). Il s’agit des fameux 0 et 1 du langage informatique binaire. Cette opération simple consistant à allumer et à éteindre se retrouve dans pratiquement toutes les fonctions de nos appareils électroniques, du traitement d’informations à leur sauvegarde en mémoire. Le TFET est un type d’interrupteur spécial conçu dans le souci de l’avenir énergétique. Contrairement à des transistors conventionnels qui nécessitent une tension d’allumage minimale, les TFET fonctionnent à des tensions significativement plus basses. Grâce à cette conception optimisée, ils consomment beaucoup moins d’énergie lors de la commutation, ce qui réduit sensiblement la consommation électrique globale des appareils dans lesquels ils sont installés.

Le professeur Adrian Ionescu, directeur du Nanolab, déclare: «Nos efforts constituent un progrès significatif dans le domaine de l’électronique, car ils pulvérisent les références de performance précédentes, comme le montrent les capacités exceptionnelles du TFET à capacitance négative en diséléniure de tungstène/iséléniure d’étain. Nous pensons en outre que nous sommes capables d’intégrer une fonction neuronale synaptique à cette technologie.»

Sadegh Kamaei, doctorant à l’EPFL, a exploité pour la première fois le potentiel des semi-conducteurs bidimensionnels et des matériaux ferroélectriques au sein d’un système électronique entièrement cointégré. Les semi-conducteurs bidimensionnels peuvent être utilisés dans des outils de traitement numériques extrêmement performants, tandis que le matériau ferroélectrique permet de traiter les données de manière continue et de les sauvegarder en même temps. Grâce à la combinaison des deux matériaux, il est possible de tirer parti des aptitudes numériques et analogiques de chacun d’eux. L’interrupteur, que nous avons évoqué dans l’analogie ci-dessus, est désormais non seulement plus efficace sur le plan de la consommation d’énergie, mais la lampe qu’il allume brille aussi plus intensément. M. Kamaei d’ajouter: «Travailler avec des semi-conducteurs bidimensionnels et les intégrer à des matériaux ferroélectriques ont été des tâches délicates, mais très gratifiantes. Les applications potentielles de nos découvertes sont susceptibles de redéfinir la manière dont nous percevrons les appareils électroniques et interagirons avec eux à l’avenir.»

La rencontre de la logique traditionnelle et des circuits neuromorphiques

Les chercheurs tentent par ailleurs de créer des interrupteurs qui ressemblent à des synapses biologiques, les connecteurs sophistiqués qui relient les cellules du cerveau, pour des applications informatiques neuromorphiques. «Ces recherches permettent de lancer la toute première cointégration de circuits logiques de Neumann et de fonctionnalités neuromorphiques, ce qui ouvre des perspectives captivantes d’architectures informatiques innovantes qui se distinguent par une consommation d’énergie extrêmement faible et par des capacités, jusque-là inédites, de construction de fonctions neuromorphiques associées au traitement numérique de l’information», souligne le professeur Ionescu.

De telles avancées laissent présager l’émergence d’appareils électroniques qui fonctionnent comme le cerveau humain et qui associent la vitesse d’exécution des calculs au traitement de l’information d’une manière plus proche de la cognition humaine. Les systèmes neuromorphiques pourraient par exemple exceller dans des tâches dont les ordinateurs traditionnels ont du mal à s’acquitter, telles que la reconnaissance de motifs, le traitement de données sensorielles ou même certains types d’apprentissage. L’alliance de la logique traditionnelle et de circuits neuromorphiques annonce une transformation dont la portée sera profonde. À l’avenir, nous pourrions bel et bien profiter d’appareils à la fois plus intelligents, plus rapides et exponentiellement moins énergivores.