Un laboratoire sur puce pour le criblage et le tri des cellules T

À l’aide de la microfabrication de haute précision et de la microfluidique, Clémentine Lipp a mis au point un outil capable d’automatiser le criblage et le tri des cellules T, une tâche essentielle en immunologie.
© 2023 Nadya Rofman / nrpdesign.com / EPFL CC-BY-NC-ND

À l’heure actuelle, il est difficile de placer deux cellules en contact l’une avec l’autre pour examiner leurs caractéristiques d’adérence. Pourtant, cette étape est nécessaire pour comprendre l’interaction entre les cellules et trouver ainsi de nouveaux traitements contre le cancer, notamment des immunothérapies cellulaires. La nouvelle technologie de Clémentine Lipp, chercheuse à l’EPFL, représente une amélioration majeure dans ce domaine. Elle combine deux technologies de piégeage différentes dans un système de laboratoire sur puce, permettant une analyse à haut débit des interactions essentielles entre les cellules. Les résultats de ses travaux ont fait l’objet d’un article publié dans la revue Lab On A Chip, qui l’a sélectionné comme article d’actualité pour 2023.

«Lorsque je raconte aux gens ce que je fais, je dis simplement que je crée un environnement de speed-dating pour les cellules», déclare Clémentine Lipp. Bien qu’elle semble plaisanter à demi, la comparaison est pertinente. Pour de nombreux travaux scientifiques, il est essentiel de comprendre l’interaction entre les cellules, et l’accélération du processus devrait permettre de faire progresser des domaines d’étude entiers.

«Lorsque je raconte aux gens ce que je fais, je dis simplement que je crée un environnement de speed-dating pour les cellules.»      Clémentine Lipp, chercheuse à l'EPFL

En thérapie cellulaire, les chercheuses et chercheurs en cancérologie recherchent des cellules T capables de réagir et de détruire les cellules tumorales. Pour qu’une cellule T déclenche une réponse du système immunitaire, elle doit se fixer à la cellule tumorale par le biais de son récepteur spécifique, un paramètre appelé état d’adhérence. Jusqu’à présent, les cellules individuelles ou les populations de cellules devaient être mises en contact manuellement dans des environnements microscopiques difficiles à manipuler. Grâce au nouvel outil microfluidique, il est possible de contrôler indépendamment ces deux types de cellules, ce qui pourrait révolutionner le criblage des cellules T et d’autres applications.

Dans un dispositif microfluidique, également nommé laboratoire sur puce, les cellules sont introduites dans un labyrinthe de canaux de taille microscopique et propulsées dans les voies grâce à l’écoulement du liquide. Apparus dans les années 1980, ces laboratoires miniatures présentent de nombreux avantages par rapport aux méthodes traditionnelles: ils sont plus rapides, plus petits, adaptables, plus précis et permettent l’automatisation. Afin d’étudier l’interaction des cellules avec les fluides et les autres cellules, la ou les cellules doivent être piégées, c’est-à-dire maintenues dans un endroit spécifique. Pour le criblage des cellules T dans un tel dispositif, les chercheuses et chercheurs doivent piéger à la fois la cellule T et la cellule tumorale sans endommager la cellule – une prouesse qui n’était pas encore possible et qui excluait jusqu’à présent le criblage des cellules T des avantages de la technologie des laboratoires sur puce.

Le dispositif de Clémentine Lipp est révolutionnaire dans la mesure où il introduit le criblage des cellules T dans le monde de la microfluidique en combinant deux méthodes de piégeage: l’une basée sur le piégeage hydrodynamique planaire des cellules et l’autre sur le piégeage diélectrophorétique (DEP). Ces pièges hydrodynamiques reposent sur des trous microscopiques qui piègent la cellule grâce à des changements de pression dans l’environnement liquide. Cela revient à aspirer doucement une balle de baseball avec un tuyau d’aspiration pour la maintenir en place, mais en des milliers de fois plus petit. Au contraire, le piégeage DEP implique une technologie totalement différente qui tire parti de la polarité d’une cellule pour la piéger électriquement en activant et en désactivant des électrodes. Les deux techniques de piégeage font appel à la microfabrication et constituent des exemples impressionnants de micro-ingénierie de précision.

En combinant ces deux systèmes de piégeage distincts, il est possible de manipuler indépendamment les cellules dans le dispositif microfluidique, ce qui permet un contrôle spatial et temporel sur leur contact. Par conséquent, différents essais d’adhérence peuvent être réalisés sur la puce, ce qui en fait un outil polyvalent pour diverses études immunologiques. La nouvelle puce microfluidique est conçue de sorte à préserver l’intégrité des cellules ainsi que les fonctions des récepteurs, ce qui ouvre la voie au développement de dispositifs à plus haut débit grâce à l’automatisation. L’association de cette technologie à l’automatisation devrait permettre un criblage et un tri des cellules T plus rapides et plus économiques, rendant ainsi les immunothérapies cellulaires plus accessibles et plus largement applicables.