Un capteur basé sur la couleur reproduit la sensibilité de la peau

Dans l’optique de concevoir des robots souples plus autonomes et des technologies portables, des scientifiques de l’EPFL ont créé un dispositif qui utilise la couleur pour détecter simultanément de multiples stimuli mécaniques et thermiques.
ChromoSense © Titouan Veuillet/Adrian Alberola Campailla

Les scientifiques en robotique ont déjà beaucoup progressé en matière de développement de capteurs capables de détecter les changements de position, de pression et de température. Tous ces éléments sont importants pour des technologies comme les dispositifs portables et les interfaces homme-machine. Mais l’une des caractéristiques de la perception humaine est la capacité à détecter plusieurs stimuli à la fois, ce que la robotique a du mal à accomplir.

Jamie Paik et des collègues du Laboratoire de robotique reconfigurable de la Faculté des sciences et techniques de l’ingénieur de l’EPFL ont mis au point un capteur capable de percevoir des combinaisons de flexions, d’étirements, de compressions, ainsi que les changements de température, le tout grâce à un système robuste qui se résume à un concept simple: la couleur.

Appelée ChromoSense, la technologie repose sur un cylindre en caoutchouc translucide qui comporte trois sections teintées en rouge, vert et bleu. Une LED située dans la partie supérieure du dispositif envoie de la lumière à travers son noyau. Les changements du trajet lumineux à travers les couleurs lorsque le dispositif est plié ou étiré sont captés par un spectromètre miniature situé dans la partie inférieure.

«Imaginez que vous buvez en même temps, à l’aide de trois pailles, trois boissons slush ayant chacune une saveur différente: la proportion de chaque boisson que vous buvez change si vous pliez ou tordez les pailles. ChromoSense utilise le même principe: il perçoit les changements du trajet lumineux à travers les sections colorées lorsque la géométrie de ces sections se déforme», dit Jamie Paik.

Une section thermosensible du dispositif lui permet également de détecter les changements de température, à l’aide d’un colorant spécial, semblable à celui des t-shirts à couleur changeante ou des bagues d’humeur, qui se désature à la chaleur. Cette recherche a été publiée dans la revue Nature Communications et selectionnée pour la page Editor's Highlights.

«Avec notre technologie, tout objet peut devenir un capteur à condition qu’il puisse être traversé par la lumière.»      Jamie Paik, Laboratoire de robotique reconfigurable, EPFL

Une approche plus simplifiée des dispositifs portables

Jamie Paik explique que si les technologies robotiques reposant sur des caméras ou des éléments de détection multiples sont efficaces, elles peuvent rendre les dispositifs portables plus lourds et plus encombrants, en plus de nécessiter davantage de traitement de données.

«Pour que les robots souples nous soient encore plus utiles dans notre vie quotidienne, ils doivent être capables de percevoir ce que nous faisons, indique-t-elle. Traditionnellement, le moyen le plus rapide et le moins coûteux d’y parvenir est d’utiliser des systèmes basés sur la vision, qui capturent toutes nos activités et en extraient les données nécessaires. ChromoSense permet des lectures plus ciblées et plus denses en informations, et le capteur peut être facilement intégré dans divers matériaux pour différentes tâches.»

Grâce à sa structure mécanique simple et à l’utilisation de la couleur plutôt que de caméras, ChromoSense pourrait se prêter à une production à grande échelle peu coûteuse. En plus des technologies d’assistance, telles que les exosuits d’aide à la mobilité, Jamie Paik voit des applications quotidiennes pour ChromoSense dans les équipements ou les vêtements de sport. Ces derniers pourraient donner aux utilisatrices et utilisateurs des informations sur leur forme et leurs mouvements.

L’un des points forts de ChromoSense – sa capacité à détecter plusieurs stimuli à la fois – peut aussi être une faiblesse, car le découplage des stimuli appliqués simultanément est encore un défi sur lequel les chercheuses et chercheurs travaillent. Pour le moment, Jamie Paik et ses collègues s’intéressent à l’amélioration de la technologie pour détecter les forces appliquées localement, ou les limites exactes d’un matériau lorsqu’il change de forme.

«Si ChromoSense gagne en popularité et que de nombreuses personnes souhaitent l’utiliser comme solution de détection robotique polyvalente, je pense que l’augmentation de la densité d’informations du capteur pourrait devenir un défi très intéressant», confie-t-elle.

Jamie Paik prévoit également d’expérimenter différents formats pour ChromoSense. Celui-ci a été prototypé sous une forme cylindrique et dans le cadre d’un exosuit souple portable, mais il pourrait également être imaginé sous une forme plate, plus adaptée aux robots origamis caractéristiques du Laboratoire de robotique reconfigurable.

«Avec notre technologie, tout objet peut devenir un capteur à condition qu’il puisse être traversé par la lumière», résume-t-elle.