La recherche en temps de pandémie
«Mon laboratoire a dû arrêter toutes ses expériences, car elles ne portaient pas sur le COVID-19», raconte Athina Anastasaki, professeure au Département des matériaux de l’ETH Zurich. Le 17 mars 2020, les travaux de son groupe de sept scientifiques se voient stoppés net par le confinement.
Un nouveau régime se met en place: une seule personne peut se rendre au laboratoire chaque semaine, pendant une heure au maximum. Il s’agit de vérifier que les installations fonctionnent correctement. Notamment un appareil de chromatographie par perméation de gel, que le groupe de chimistes utilise pour caractériser les nouveaux polymères qu’il développe. «Il était crucial d’en prendre soin et d’éviter tout dommage, poursuit la chercheuse, car remplacer cette machine prendrait beaucoup d’argent et des mois de travail.»
La chimiste de l’ETH Zurich avait anticipé le confinement et avait fait installer un programme pour contrôler l’appareil à distance. Son équipe peut ainsi assurer un flux constant de solvant, sans lequel les tubes pourraient sécher et endommager la machine. Il a fallu improviser, et rapidement. Aujourd’hui, le dispositif ne sert pas qu’à faire de la maintenance à distance: il permet également aux scientifiques de relever depuis chez eux les données récoltées. Un avantage certain alors que les hautes écoles ont à nouveau dû réduire les présences sur le campus à cause de la deuxième vague de la COVID-19 en automne 2020.
Expériences à distance
Au Paul Scherrer Institut (PSI), Oliver Bunk était mieux armé pour faire face au confinement: plusieurs de ses expériences sont équipées de bras robotisés, ce qui lui a permis de poursuivre les travaux à distance, notamment la capture d’images de biomolécules par cristallographie à rayons X. Les radiations produites lors de l’illumination peuvent être dangereuses pour la santé, et des protocoles de sécurité encadrent strictement la manière de préparer les échantillons pour l’expérience. C’est pourquoi des dispositifs robotisés avaient été installés afin de permettre leur manipulation depuis une autre pièce.
«Environ un tiers de nos expériences étaient contrôlées à distance avant la pandémie, explique le physicien. Nous sommes très rapidement passés à 100% au printemps 2020 et avons depuis gardé un niveau très haut.» Manipuler les échantillons à distance n’est pas seulement plus sûr, mais permet également de travailler plus rapidement en évitant les procédures de sécurité nécessaires pour entrer et sortir du local d’expérience, poursuit Oliver Bunk. Cela permet d’augmenter le nombre d’expériences réalisées et ainsi de mieux partager l’infrastructure de recherche. Autre avantage: se déplacer au PSI n’est plus nécessaire. Des scientifiques de l’Université de Francfort, par exemple, utilisent ces outils pour étudier le virus SARS-CoV-2 responsable de la pandémie actuelle.
Mais mener des expériences à distance n’est pas tout, souligne Oliver Bunk: «La recherche se nourrit d’interactions. Elle a besoin des pauses-café, c’est le moment où les gens de différents groupes se rencontrent et proposent ces idées un peu folles qui mènent parfois à de grands projets. Il est difficile de recréer une telle créativité dans des vidéoconférences.» Une autre inquiétude: la formation des jeunes à l’utilisation de ces infrastructures s’est très fortement ralentie, ce qui à moyen terme pourrait poser problème.
Les carrières sous pression
La productivité scientifique a elle aussi souffert du confinement. «J’ai investi beaucoup de temps pour préparer mes cours en ligne, raconte Athina Anastasaki. Tout le matériel doit être disponible en avance, ce qui enlève la nature spontanée de l’enseignement.» La situation augmente encore la pression sur les carrières: moins de publications et moins de présentations invitées lors de conférences, qui ont été nombreuses à être annulées. «Ces trous dans les CV vont peser par la suite, poursuit la chimiste. Certes, la plupart des universités ont connu le même sort, mais certaines ont continué sans s’arrêter, comme en Australie ou en Asie.»
Une question délicate s’est posée avec l’accès au labo autorisé à nouveau en début juin 2020: à qui donner la priorité? «Cela m’a pris une semaine pour trouver un système plus ou moins juste», répond Athina Anastasaki. J’ai donné la priorité aux membres du groupe qui devaient bientôt défendre leurs plans de recherche et avaient besoin de résultats, ainsi qu’à celles et ceux qui travaillaient sur des recherches de pointe très visibles et compétitives, qui risquaient de se voir devancés par un groupe concurrent.» Mais la chimiste a également donné accès au labo à des étudiantes et des étudiants qui venaient d’arriver de l’étranger et qui n’avaient pas eu le temps de se faire un groupe d’amis, afin d’éviter le risque d’un isolement trop grand.
L’EPFL n’a autorisé principalement que deux types de travaux lors du confinement, explique Eric du Pasquier, délégué à la sécurité prévention et santé de la haute école lausannoise. D’une part, les recherches sur le COVID-19 et, d’autre part, les grands projets dont l’arrêt aurait fait perdre des mois, voire des années de travail – comme le recueil régulier de données sur des organismes vivants qui évoluent sur des années. L’accès aux animaleries a bien entendu été garanti pour éviter tout problème.
Les taux de présence à l’EPFL sont restés à 50% au maximum, même durant l’été. Les plateformes technologiques (microscopie, séquençage génétique, etc.) utiles à tous les scientifiques sont, elles, repassées à temps plein durant l’été. Désormais, chaque responsable de groupes de recherche doit établir un plan d’occupation des locaux, explique Eric du Pasquier. Des listes des personnes présentes dans les laboratoires sont maintenues pendant 14 jours afin de permettre le traçage des contacts en cas d’infection.
Les leçons du SARS-CoV-2
«L’organisation en urgence du campus durant le confinement au printemps a représenté une période stressante et fatigante, c’est vrai. Mais je me suis également senti boosté, confie Eric Du Pasquier. Le plus important dans une crise, c’est d’en sortir. Il faut redonner le contrôle aux responsables, la liberté de décider mais également l’obligation de prendre ses responsabilités et de gérer la situation.»
Oliver Bunk voit un point positif à la crise: «Elle a grandement accéléré le passage aux expériences à distance. Les usagers se montraient parfois sceptiques. Ils s’y sont faits et apprécient aujourd’hui cette possibilité.» Athina Anastasaki tire elle aussi quelques leçons du confinement: «Nous avons appris à apprécier l’accès au laboratoire. Nous préparons désormais très bien les expériences afin de profiter au mieux du temps à disposition. Je me suis également beaucoup rapprochée des gens de mon groupe. En temps normal, un doctorant ne partage pas forcément ses états d’âme avec son supérieur. Mais avec la pandémie, j’ai pris beaucoup de temps pour échanger avec mon équipe et la soutenir du mieux que je pouvais.» Ces nouvelles responsabilités sur la santé – physique autant que mentale – de son groupe l’ont-t-elle stressée? «Pas vraiment, répond-elle. Stresser ne vous aide pas à trouver les solutions et ne fait que consommer encore davantage votre énergie. Et vous savez, si j’avais été une personne qui stresse facilement, je n’aurais probablement pas continué dans la recherche!»