Genève et Casablanca, deux visions de l'urbanisme globalisé

Pour sa thèse à l’EPFL, Kamil Hajji a comparé les grands projets de renouvellement urbain des deux villes, centres dynamiques et financiers de pays aux fonctionnements politiques et réalités sociales très différents. Il constate que la démocratie a le pouvoir d’altérer le modèle de la ville globalisée.
Casablanca, capitale économique du Maroc, et son Twin Center. © 2020 Istock

Ce sont deux villes légendaires, l’une au bord du paisible lac Léman, l’autre face à l’indomptable océan atlantique. Chacune, à sa façon, porte une forte symbolique dans l’imaginaire collectif. Genève, cité de Calvin, ville internationale par excellence, et Casablanca, la Cité blanche, immortalisée par le film éponyme de Michael Curtiz. Rien ou presque ne les rapproche et pourtant, imbriquées dans le processus de mondialisation économique qui modifie la face du monde depuis la fin du XXe siècle, elles partagent le statut de « ville globale ». A l’heure du néolibéralisme, de l’internationalisation des flux d’échanges de biens, de personnes et de capitaux, de la compétition entre les métropoles, elles cherchent à favoriser l’attractivité de leur territoire par de grands projets de renouvellement urbain.

Kamil Hajji, qui a grandi à Casablanca et s’est installé en Suisse pour ses études, a les codes pour constater la transformation rapide des deux cités. Diplômé en architecture à l’EPFL, il a choisi d’y faire sa thèse au sein du laboratoire de sociologie urbaine (LaSUR), sur l’analyse des grands projets urbains de Genève et Casablanca à travers les logiques de marché et les résistances locales. Sa soutenance publique de thèse a eu lieu le 29 octobre. 

«Je suis fasciné par ce phénomène de mondialisation. Casablanca est une ville qui s’est transformée pendant ma jeunesse et j’ai observé, à travers mes voyages, des similitudes entre les grandes villes du monde. Je voulais savoir à quoi ça tenait.»      Kamil Hajji

Enquête exhaustive

En focalisant son attention sur les futurs quartiers de Casa-Anfa et Casa-Marina à Casablanca, et ceux du projet Praille Acacias Vernets (PAV) et de l’interface CEVA des Eaux-Vives à Genève, Kamil Hajji cherche à comprendre en quoi les grands projets de renouvellement urbain résultent de la mondialisation. « Mondialiser, ça veut dire homogénéiser à l’échelle globale des politiques publiques et des stratégies. Le capital circule de plus en plus et les territoires cherchent à le fixer. Donc ils mettent en place des stratégies ayant des lignes directrices similaire. Ça se voit dans l’espace construit avec des tours, des éléments urbains qui caractérisent cette volonté d’attractivité. »

Pour son projet de thèse, le jeune homme a mené une enquête exhaustive nourrie d’interviews d’acteurs politiques, investisseurs, représentants de la société civile ou habitants expulsés dans le cadre des travaux. Il a consulté des procès-verbaux de réunions de quartier, mené de longues recherches dans les archives communales. « L’idée était de reconstruire une généalogie de ces projets, voir comment le processus s’est déroulé. » Un travail de longue haleine qui passionne ce très curieux fils de journaliste. « Le but était aussi de voir si les quartiers ne se transforment pas en gated communities fermées sur elles-mêmes, qui ne servent qu’une seule catégorie sociale. (…) J’ai vu au Maroc comment la mondialisation peut avoir un effet extrêmement dur socialement et je suis sensible à ça, je voulais comprendre. »

Résistances locales

Pour cette question sous-jacente, la comparaison de deux villes globalisées et dynamiques, situées dans des pays aux fonctionnements politiques très différents, s’avère particulièrement intéressant. Avec la Suisse, Kamil Hajji analyse le cas d’une démocratie semi-directe, où les résistances locales peuvent faire barrière aux logiques de profit. Avec le Maroc, monarchie constitutionnelle qui a réformé sa démocratie après les printemps arabes de 2011, il cherche à voir comment les résistances parviennent à se structurer, quel est leur pouvoir d’action face aux autorités et aux investisseurs. Dans les deux contextes, il cherche à évaluer le pouvoir du plus petit échelon de démocratie locale qu’est la commune.

La CFC First Tower, 122 mètres, au coeur du quartier d'affaires Casa Anfa de Casablanca. © skyscrapercity

Dans le cadre du PAV à Genève, Kamil Hajji constate que le système de résistance suisse a entrainé de longues négociations et de nombreuses concessions pour arriver à un projet final bien différent de ce qui avait été prévu à l’origine. A Casablanca, le fonctionnement « Top-Down » a selon lui permis un développement des projets « tels que conçus par rapport à cet imaginaire globalisé, inchangés car il n’y a pas eu, pour les contrer, de résistances suffisamment structurées et bénéficiant de relais politiques dans les arènes institutionnelles ». 

Le désormais ancien étudiant, qui fait un post-doctorat au LaSUR et travaille à la spin off de l’EPFL Mobil’homme, conclut que la démocratie a un pouvoir d’altérer le modèle globalisé. « L’imaginaire de la ville globale néolibérale se localise et se détériore lorsqu’il se déploie dans des contextes plus démocratiques lesquels, par ailleurs, favorisent la fabrication de villes où existe davantage de cohésion sociale », affirme-t-il.