Utiliser la crise du coronavirus pour le climat
Partout dans le monde, les pays mettent en place des programmes d'aide se chiffrant en milliards pour garantir la survie d'entreprises et les emplois. La Suisse soutient la compagnie aérienne Swiss. L'Allemagne prévoit un programme d'aide pour son industrie automobile, et les États-Unis et le Canada veulent sauver leurs industries pétrolière et gazière. Mais qui protège le climat?
Le réflexe de sauver les industries clés existantes est à première vue compréhensible. Le covid-19 force les États à réagir vite - l'aide doit être fournie rapidement et sans paperasse. Mais nous sommes confronté·es à un autre défi mondial : le changement climatique. qui nécessite,à moyen et long terme, la restructuration de l'économie et de la consommation.
La question du climat peut sembler moins urgente, mais le problème se pose depuis des années et plus on tarde à agir, plus les conséquences sont graves. Nous n'avons ni le temps ni les ressources pour lutter contre deux crises séparément.
Il est donc important d'exploiter les synergies. Cependant, l'expérience de la crise financière a montré que les injections de liquidités par l'État pour surmonter les crises cimentent souvent les structures existantes. Le changement ne réussit pas de cette façon. Au lieu d'investir l'argent des contribuables dans des secteurs néfastes pour le climat, nous devrions investir dans des industries et des modèles commerciaux durables. Comme nous l'avons récemment souligné dans l'éditorial de Science, la crise du coronavirus peut nous donner un double levier pour ouvrir la voie à un avenir sans carbone. 1
Tirer profit des perturbations
Les fermetures de confinement ont massivement déstabilisé l'économie. Aussi dévastateur que soit ce choc, son pouvoir perturbateur peut également contribuer à briser les structures existantes, en particulier dans le système des énergies fossiles. La première approche consiste donc à ne pas sauver délibérément les modèles économiques néfastes pour le climat qui souffre actuellement de la crise.
Les centrales électriques au charbon en sont un exemple. Des pays tels que le Royaume-Uni, l'Italie et le Canada sont déjà bien engagés dans la suppression progressive de ces installations particulièrement gourmandes en CO2. La crise du coronavirus peut aider à accélérer la transition de l'industrie minière. Les aides financières ne doivent pas bénéficier aux centrales nucléaires ou aux exploitants miniers, mais aux régions minières et aux travailleuses et travailleurs touché·es. Il est important de fournir le meilleur soutien possible sous forme de retraite anticipée, de recyclage et, surtout, de création de nouvelles industries.
Un autre exemple est l'industrie automobile. Elle est confrontée depuis des années au défi du climat et de la numérisation. Cependant, au lieu de se concentrer systématiquement sur les systèmes de propulsion alternatifs, les constructeurs ont surtout mis sur le marché de lucratifs SUV. Une nouvelle série de primes à la casse par l'État, comme l'Allemagne en discute, n'est certainement pas la bonne voie à suivre. À mon avis, investir dans des usines, des batteries et des réseaux de recharge pour l'électromobilité - et en même temps promouvoir des alternatives à la voiture - permettrait d'obtenir les résultats souhaités.
Renforcer les innovations à faibles émissions de carbone
La deuxième approche s'articule autour des services et des technologies pour une décarbonisation complète de notre société. Partout où des alternatives respectueuses du climat sont déjà disponibles aujourd'hui, nous devons accélérer leur diffusion. Les mesures évidentes vont du remplacement des systèmes de chauffage au pétrole et au gaz et de l'installation de systèmes solaires sur les bâtiments commerciaux et les bureaux au développement des transports publics et de la mobilité électrique.
Dans d'autres domaines, nous avons besoin de stratégies à plus long terme pour développer des alternatives à faibles émissions de carbone. Je pense en particulier aux secteurs à forte intensité de CO2 qui sont difficiles à décarboniser : Il s'agit d'industries telles que l'acier, le ciment et les produits chimiques, d'une part, et l'agriculture, le transport des marchandises et l'aviation, d'autre part. Des programmes d'innovation de large envergure sont nécessaires pour rendre commercialisables les produits de substitution respectueux du climat, comme le bois pour le béton ou l'hydrogène (vert) pour le pétrole lourd. Les pays et les entreprises qui prennent l'initiative dans ce domaine peuvent se créer des avantages concurrentiels sur le plan international.
Les programmes d'aide à la crise du coronavirus peuvent servir à amener un changement structurel durable. Nous devrions saisir cette occasion.