La politique chinoise, une menace pour le système des brevets?

Des scientifiques de l’EPFL montrent que les entreprises étrangères sont moins susceptibles de se voir octroyer un brevet en Chine que leurs homologues locales. Cette discrimination concerne des technologies d’importance stratégique pour Beijing : les télécommunications et les biotechnologies.
© 2021 EPFL / Alain Herzog. Portrait du chercheur EPFL Gaétan de Rassenfosse.

Un accord d’investissement entre Beijing et Bruxelles est en attente de ratification par le Parlement européen. Avec sa mise en œuvre, les entreprises de l’Union espèrent pouvoir entrer sur le marché chinois sans être contraintes de partager leurs technologies avec leurs homologues chinoises.

Cet accord survient à un moment de tensions commerciales marquées avec Beijing. Le protectionnisme technologique s’intensifie entre les Etats-Unis, l’Europe et la Chine. Les services de renseignements du MI5 et des fonctionnaires du gouvernement britannique évoquent des cas d’espionnage industriel par des étudiants chinois au Royaume-Uni.

Dans le même temps, le géant chinois des télécommunications Huawei vient d’établir ses quartiers à Saint-Sulpice, à deux kilomètres du campus de l’EPFL. Une nouvelle qui suscite de l’intérêt, mais aussi de la méfiance quant aux motivations de l’entreprise en matière technologique.

Dans un rapport daté de 2010, la Commission internationale du commerce des Etats-Unis mentionne que « (…) certaines entreprises non chinoises feraient face à des difficultés supplémentaires pour obtenir des brevets dans les secteurs que le gouvernement chinois estime d’importance stratégique ».

«La discrimination des étrangers viole plusieurs traités internationaux de propriété intellectuelle, dont l’accord TRIPS supervisé par l’OMC.»      Gaétan de Rassenfosse

Désireux de faire progresser ce débat houleux avec des éléments factuels, les chercheurs de l’EPFL Gaétan de Rassenfosse et Emilio Raiteri (qui travaille désormais à TU Eindhoven) ont décidé de quantifier le taux de délivrance des brevets accordés en Chine aux entreprises locales et étrangères. Les allégations de discrimination tiennent-elles la route face à un examen scrupuleux des données ?

« Il ne suffit pas de comparer le nombre d’octrois pour les locaux et les étrangers. De nombreux facteurs peuvent expliquer des différences, comme la qualité de l’invention, voire le prestige de certains avocats spécialisés dans les brevets », explique Gaétan de Rassenfosse.

« Alors que nous prenons en compte de plus en plus de ces facteurs, nous trouvons que le taux d’octrois de brevet est statistiquement identique. Cela suggère l’absence de discrimination. Mais il existe une exception notable en ce qui concerne les domaines d’importance stratégique pour la Chine, où une claire discrimination se fait jour », poursuit le chercheur.

Les scientifiques ont découvert que les télécommunications et les biotechnologies sont deux domaines où les preuves de discriminations sont fortes contre les étrangers désireux d’opérer sur le marché chinois. De même, les demandes de brevet des étrangers sont plus largement amendées, c’est-à-dire que la portée des brevets est réduite.

« La discrimination des étrangers viole plusieurs traités internationaux de propriété intellectuelle, dont l’accord TRIPS supervisé par l’OMC », continue Gaétan de Rassenfosse. « Mais la Chine pourrait ne pas être la seule : de par le monde, de nombreux bureaux des brevets pourraient favoriser leurs ressortissants. Les manquements du côté de l’application des traités de PI nuisent à l’économie de la connaissance que nous tenons en si haute estime. Nous assistons à une fermeture des frontières technologiques entre les nations. C’est une tendance inquiétante. »