Offrir une nouvelle vie à des rats de laboratoire

L’EPFL a signé un contrat de «rehoming» avec la Protection suisse des animaux (PSA) pour donner certains de ses rats de laboratoire, afin qu’ils puissent être placés chez des particuliers. Cette initiative, une première en Suisse romande, permettra à des dizaines de rongeurs de connaitre une vie hors des cages de l’animalerie.
En avril 2022, près de 350 rats sont hébergés dans l'animalerie de l'EPFL. © Alain Herzog, EPFL

Encore très marginaux dans les années 80, les rats domestiques trouvent de plus en plus leur place dans les foyers suisses. Particulièrement sociables, intelligents et curieux, leur tempérament en fait des compagnons appréciés, à condition d’être prêt à leur consacrer le temps et l’espace dont ils ont besoin. C’est avec ce constat que l’EPFL a décidé de s’associer à la Protection suisse des animaux (PSA) pour proposer à l’adoption plusieurs rats de laboratoire dont elle n’a plus l’usage.

Très doués pour apprendre de nouvelles tâches, et utilisés majoritairement dans des expériences comportementales, les rats représentaient 9,5% des animaux en expérience en Suisse en 2020, derrière les souris et les oiseaux. À l’EPFL, ils sont actuellement près de 500 dans les zones d’hébergement de l’animalerie, un chiffre qui peut fluctuer selon les besoins des scientifiques. Nés et élevés dans des zones spécialisées, ils n’ont jamais connu la vie hors des laboratoires, où ils finiront leur vie : la plupart des expériences sur de tels modèles sont dites «terminales», c’est-à-dire qu’elles incluent l’euthanasie de l’animal pour le prélèvement et l'étude de tissus ou d’organes. Toutefois, ce n’est pas vrai pour tous les rongeurs, et certains peuvent se voir offrir une nouvelle vie hors des animaleries d’expérience.

Inédit en Suisse romande

Déjà bien implantée en France, l’adoption d’animaux de laboratoire a été rendue possible en Suisse en 2018 par l‘Université de Zurich, en partenariat avec la PSA. Le programme d’encouragement au placement alors mis en place a permis à plus de 300 rats qui n’ont pas été génétiquement modifiés et/ou utilisés dans des expériences causant des contraintes moyennes à sévères d’être placés chez de nouveaux propriétaires. L’initiative restait inédite en Suisse romande. «Lorsque j’ai vu ce qui se faisait à Zurich, j’ai approché en février 2021 le responsable du Centre de PhénoGénomique de l’EPFL (qui y gère les animaleries et supervise l’expérimentation animale), pour voir si nous pourrions reproduire ce programme. Il était partant, tout comme la PSA. La discussion du contrat et la réflexion autour de la logistique ont pris du temps, mais tout est prêt désormais», commente Alexandre Widmer, coordinateur de l’implémentation des 3R à l’EPFL, et gestionnaire du programme de placement.

«Tous les animaux, en particulier ceux qui sont utilisés pour la recherche, devraient avoir la possibilité de vivre une nouvelle vie après leur utilisation.»      Julika Fitzi, PSA

Selon les termes du contrat, l’EPFL fait don à la PSA de rats issus de l'élevage ou de la recherche en laboratoire dont elle n'a plus besoin et prend également en charge une partie de leur entretien pendant une phase initiale de 30 jours. Après la remise des rats, la PSA veille à ce qu'ils soient acclimatés d'une manière appropriée à leur espèce et s'engage à trouver un gardien approprié pour le placement et les soins à long terme des rats. L’expérience de l’université de Zurich montre que les rats sont toujours adoptés dans ce délai de trente jours.

«La signature de ce contrat est un pas dans la bonne direction, se réjouit Julika Fitzi, vétérinaire et responsable des services de conseil sur l'expérimentation animale de la PSA. Tous les animaux, en particulier ceux qui sont utilisés pour la recherche, devraient avoir la possibilité de vivre une nouvelle vie après leur utilisation.» Dans l’immédiat, les rats de l’EPFL seront transférés à une antenne de la PSA spécialisée dans l’hébergement et le placement des rats, le Club des amis des rats, implanté en Argovie. Une autre antenne, à Brügg dans le Jura bernois, pourrait aussi accueillir à terme des animaux de l’EPFL et les proposer à l’adoption.

«Je n'aurais jamais cru qu'il serait possible de trouver un foyer pour un nombre important d'animaux.»      Chercheur de l'EPFL (anonyme)

«Cette idée est excellente»

Du côté des laboratoires de recherche, qui sont propriétaires des animaux dans le cadre d’une licence d’expérience particulièrement stricte et surveillée, l’enthousiasme s’est aussi fait sentir. Un scientifique dont le groupe de recherche pourra donner des rats au programme de placement témoigne avoir été surpris d’apprendre qu’une telle démarche était possible, et fonctionnait déjà à l’université de Zurich. «Nous essayons déjà de partager les animaux dont nous n’avons pas besoin avec d'autres groupes pour éviter le ‹gaspillage›󠅒. Mais en dehors de la recherche, je n'aurais jamais cru qu'il serait possible de trouver un foyer pour un nombre important d'animaux. Cette idée est excellente.»

Julika Fitzi, responsable des services EA à la PSA, dans l'animalerie de l'EPFL © Alain Herzog, EPFL

Pour Julika Fitzi, dont l'organisation reconnaît que «certains aspects de l'expérimentation animale, notamment lorsqu'ils sont liés à l'amélioration du bien-être des animaux, sont utiles et qu'il n'est pas encore possible de les remplacer complètement par d'autres méthodes», l’enjeu de l’adoption réside dans la manière dont les scientifiques envisagent leurs recherches. «Il y a beaucoup de travail à faire sur le fond. Il ne s'agit pas seulement de l'adoption, mais aussi d'avoir une Culture of Care. Avant de faire une expérience, les scientifiques devraient déjà penser en amont à ce qu’ils feront de l’animal à son issue, s'il y a une possibilité de relogement, et si oui, penser à l'argent que cela coûterait. Je sais que ce n'est pas facile, les chercheurs n'y pensent pas du tout. Cela prendra des années, mais nous voyons déjà quelques bons signes dans cette direction à Zurich.»

Le don de rats ne devrait pas, dans un premier temps, dépasser quelques individus par mois, mais les chiffres pourraient augmenter si le programme de placement fonctionne bien, et être étendu à d’autres animaux, comme les souris ou les poissons-zèbres, à condition qu’il ne s’agisse pas d’animaux génétiquement modifiés. Selon la PSA, la demande de placement pour ces organismes existe aussi en Suisse.