«En temps de crise, la science doit donner des conseils clairs et compréhensibles»
Vous avez quitté votre poste de recteur de l’Université de Zurich il y a cinq mois. Comment vous sentez-vous dans ce nouveau rôle de président du Conseil des EPF qui est bien plus politique?
Bien! La politique rassemble des gens intéressants et engagés qui se battent pour leurs idées. Ils représentent la société en son entier, et je me dois de construire de bonnes relations avec tous les partis. Ce n’est pas entièrement nouveau pour moi, puisque la situation était similaire avec les commissions cantonales qui s’occupaient de l’Université de Zurich.
Quelles ont été vos premières tâches?
Aller à la rencontre des membres des commissions parlementaires concernées par le Domaine des EPF, non seulement pour les informer de ce que nous faisons et de ce dont nous avons besoin, mais aussi pour les écouter. Il est très important de préparer le terrain afin de disposer des bons contacts lorsqu’une situation plus délicate se présente, telle que les négociations budgétaires ou les débats sur nos relations avec l’Union européenne. La confiance se bâtit lentement. Je ne veux pour l’instant pas modifier de manière fondamentale la façon dont nous travaillons. Une chose: je veux que le Conseil des EPF soit plus visible en Suisse romande. Le fait d’avoir grandi en parlant français devrait aider.
Qu’est-ce qui vous manque dans votre nouveau poste?
Le contact direct avec les scientifiques et avec les étudiant·es, que je voyais régulièrement durant mes cours, ainsi que l’énergie qu’ils me transmettaient. Je suis désormais un peu plus loin des gens sur le terrain. Je veux vraiment trouver le temps d’obtenir ma dose de science! Les leçons inaugurales et la participation à des tables rondes sont autant de bonnes occasions pour garder le contact avec les scientifiques et avec les associations d’étudiant·es.
Vous êtes biochimiste. La recherche vous manque-t-elle?
Bien sûr. Mais j’avais déjà décidé de fermer mon laboratoire en 2014 après ma nomination comme recteur de l’Université de Zurich, car faire de la recherche expérimentale de pointe et gérer une telle institution en parallèle me paraissait impossible.
Qu’est-ce qui vous a le plus surpris depuis votre arrivée au Conseil des EPF?
La crise du Covid-19. Nous en avons fait notre priorité, dès février 2020. Elle est tout de suite devenue très concrète, avec la mise en quarantaine d’étudiant·es de l’ETH Zurich et de l’EPFL qui revenaient de Chine.
Quelque chose que vous avez déjà accompli et dont vous êtes fier?
Clairement, la vitesse avec laquelle nous avons pu mettre en place la task force scientifique. L’élaboration de cette task force a été discutée le samedi 14 mars 2020 lors d’une téléconférence avec les présidents des deux EPF, Joël Mesot et Martin Vetterli. Les responsables des 6 institutions du Domaine ont ensuite identifié et invité les scientifiques pouvant y contribuer; ils ont tous très rapidement répondu à notre appel. Qu’une douzaine de personnes acceptent davantage de travail non rémunéré en moins d’une heure, je ne l’avais encore jamais vécu! Mais les gens voulaient aider et il était clair que le facteur temps était absolument crucial durant cette phase exponentielle de l’épidémie. Le jeudi 19 mars, nous annoncions le lancement de la task force.
Quel était l’objectif de cette task force?
Nous voulions d’abord coordonner les mesures à prendre pour gérer l’épidémie au sein des institutions du Domaine des EPF. Ensuite, soutenir avec nos compétences les efforts de partenaires locaux: mobiliser nos laboratoires pour augmenter la capacité de tests du Covid-19, fabriquer des équipements de protection pour les hôpitaux, faire des modèles épidémiologiques, etc.
Il ne s’agissait donc pas de conseiller le gouvernement suisse?
Avant de prodiguer des conseils, il faut selon moi commencer par montrer que l’on sait de quoi on parle – do your homework first, comme on dit en anglais. Le but premier était de générer une impulsion et de coordonner, car nous sentions une énorme volonté des scientifiques, des étudiant·es et du personnel à contribuer à lutter contre l’épidémie grâce à leurs savoirs.
Dix jours plus tard, la task force quittait le Domaine des EPF pour devenir nationale. Un regret pour vous?
Non, tout au contraire. Matthias Egger, le président du Fonds national suisse, m’a tout de suite appelé pour élargir la task force et nous avons décidé ensemble d’inviter le président des Académies suisses des sciences, Marcel Tanner, et celui de swissuniversities, Yves Flückiger. Ensuite, nous avons contacté le gouvernement – le Conseil fédéral, l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) et le Secrétariat d’Etat à la formation, à la recherche et à l’innovation (SEFRI) – afin de recevoir un mandat officiel: résumer les connaissances scientifiques disponibles pour soutenir les autorités dans la gestion de la crise. A ce point, la task force n’était plus du ressort du Conseil des EPF, et je me suis retiré.
La Confédération aurait pu lancer d’elle-même un tel comité consultatif et plus tôt…
Lors d'une crise, il est normal pour les autorités de mobiliser leur propre réseau, dans lequel elles ont déjà confiance. Mais nous avons en effet noté initialement un manque d’interactions entre l’administration fédérale et le monde académique.
Nous avons dû apprendre à nous connaître… Certains membres de la task force avaient émis de critiques à l’encontre des décisions et des déclarations de l’OFSP; et ce dernier a appelé les scientifiques à discuter avec lui avant de parler à la presse. La task force soumet de manière indépendante des recommandations basées sur les connaissances scientifiques actuelles. Ensuite, les politiques prennent leurs décisions, en se basant sur ces avis mais également sur d’autres aspects pertinents dans d’autres domaines. Cette séparation des tâches est parfaitement normale.
Un point important: ces recommandations reflètent un certain consensus scientifique. Cela réduit le risque de cacophonie qui survient lorsque les expert·es chargés de conseiller le gouvernement produisent des analyses se contredisant les unes les autres, comme on a pu parfois le voir dans d’autres pays. En temps de crise, la science doit donner des conseils clairs et compréhensibles.